Pendant des mois, Amar Saadani a distribué les coups pour défendre Abdelaziz Bouteflika. Aujourd'hui, il est sous les feux croisés de la presse, qui l'accuse d'avoir détourné de l'argent, et de ses opposants au FLN, qui questionnent sa légitimité. Portrait. «Vous direz à votre collègue qu'elle s'est trompée, hein, pour l'adresse de l'appartement.» Il sourit et nous tend une part de gâteau. Ce mardi 29 avril, le soleil inonde la terrasse du restaurant Moncada, à Ben Aknoun, et Amar Saadani est taquin. Le FLN offre le déjeuner à une centaine de journalistes pour la Journée de la liberté de la presse. L'occasion rêvée pour le secrétaire général de régler quelques comptes. Au lendemain de la présidentielle, le site français mondafrique.com, dirigé par Nicolas Beau, l'accuse de cacher 300 millions d'euros à Paris et d'y posséder deux luxueux appartements. L'information est reprise par une partie de la presse écrite algérienne, dont El Watan. «J'aurais aimé que la journaliste qui a écrit sur moi vienne aujourd'hui pour discuter avec elle», lance un Amar Saadani bagarreur. Le leader du FLN se dit victime d'une cabale. Pour avoir osé s'en prendre au DRS pendant la précampagne électorale. A l'époque déjà, l'homme rodait ses éléments de langage et prévenait dans TSA : «Si un mal m'arrive, ce sera l'œuvre de Toufik.» «On ne cesse d'inventer des histoires sur le cercle proche du Président», insistait-il. Trois mois après, il assure que le dossier des 300 millions d'euros a été monté de toutes pièces pour lui nuire. Au milieu du ring Dans la foulée, Amar Saadani se voit aussi victime d'un règlement de compte personnel avec le directeur d'El Khabar. «Il travaillait à l'Assemblée populaire nationale. Lorsque j'en ai pris la présidence, je l'ai licencié», explique-t-il. El Khabar se vengerait depuis, en relayant toutes les affaires liées au patron du FLN. La ligne de défense tient davantage de Caliméro que des Tontons Flingueurs. Habitué à distribuer des coups, Amar Saadani se trouve cette fois-ci au milieu du ring. Assailli de toutes parts. Présumé coupable par le tribunal médiatique. Il lui arrive de tendre lui-même le bâton pour se faire battre. Comme lorsqu'il dément mollement les accusations de Mondafrique.com le 20 avril dernier, mettant les journalistes au défi de prouver l'existence d'une caisse occulte. «Je vous paye le billet d'avion pour Paris, et si vous ramenez la moindre trace, un numéro de compte, ou le nom de l'établissement bancaire, les 300 millions sont à vous», avait-il lancé, bravache. Une maladresse étant donné la gravité de l'affaire. «Qu'Amar Saadani ne soit pas un grand communicant, c'est un constat assez unanimement partagé, concède l'un de ses amis. Cela ne fait pas forcément de lui un voleur ». «Mon client dément les trois accusations de Nicolas Beau, reprend son avocat français Jean-Yves Dupeux. Il dément posséder un compte en France de 300 millions d'euros. Il dément avoir détourné l'argent de la Générale des Concessions Agricoles en Algérie. Il dément avoir deux appartements luxueux à Paris». Une action en diffamation a été engagée contre Mondafrique.com, qui devrait aboutir d'ici un an. Amar Saadani dit faire «confiance à la justice française». «Vous vous rendez compte de ce que ça représente 300 millions, complète-il. 300 millions, qu'on sortirait comme ça, et les banques françaises laisseraient faire ?» Difficile de lui donner tort : la France est l'un des pays les plus stricts en matière de blanchiment d'argent. Au sein du Ministère de l'Economie et des Finances, la cellule Tracfin est spécifiquement chargée de lutter contre les mouvements de fonds suspects. Pour autant, impossible de nier l'évidence : le nom d'Amar Saadani apparaît dans le BODACC du 22 octobre 2009, le bulletin officiel des annonces civiles et commerciales recensant toutes les créations de société. Il est cité au titre d'associé d'une Société Civile Immobilière (SCI) dont l'activité est la location de terrains et autres biens immobiliers. La SCI est gérée par Kenza Saadani, les autres associés portent le même patronyme qu'elle. L'entreprise démarre son activité en juillet 2009. A l'époque, Amar Saadani n'est plus président de l'Assemblée. Ses amis soutiennent qu'il n'est alors « qu'un citoyen parmi les autres ». « La première accusation a été très mal ressentie par Amar Saadani », confie Maître Dupeux. Passe encore d'être traité d'imposteur. Taxé d'incompétence. Voire de malhonnêteté. Que les noms de ses enfants soit cités le contrarie davantage. Le père essaye d'assurer à sa descendance une destinée davantage tracée que la sienne. Son fils Adel est inscrit à la très prestigieuse Regent's University à Londres. Un établissement privé où les frais d'inscriptions s'envolent jusqu'à 20.000 euros. Mais quand on aime, on ne compte pas. Et Amar Saadani sait trop ce qu'il lui en a coûté de ne pas faire de grandes études. Moqué parce qu'hors du sérail, ses contempteurs prennent un malin plaisir à la surnommer le «drabki». L'homme est né à Tunis, en 1950. Sa biographie officielle le présente comme titulaire d'un baccalauréat littéraire ayant ensuite étudié les sciences politiques. «C'est ce qu'il essaye de faire croire», persiflent ses adversaires, qui l'accusent d'avoir maquillé son CV. «Il est en tout cas très affable», tempèrent ceux qui l'ont côtoyé lors de ses premiers pas à l'Assemblée Populaire Nationale. Président de la commission des transports, transmissions et télécommunications, l'élu prenait soin à chaque fête d'adresser une carte de vœux aux acteurs du secteur. «C'est un bosseur, il maitrisait ses dossiers», se souvient un ancien dirigeant du public. Un autre lui reconnaît un don pour cultiver son carnet d'adresses. Une façon de se hisser au niveau de ceux qui avaient déjà eu le temps de se connaître sur les bancs de l'ENA, l'Ecole Nationale d'Administration dont est issu Abdelmalek Sellal, l'un de ses principaux rivaux. Outre sa capacité de travail, Amar Saadani dispose d'un autre atout dans sa manche : sa connaissance des réseaux syndicaux. Le patron du FLN est un ancien de l'UGTA et se plait à le rappeler à toute occasion. «Je serai toujours du côté des travailleurs», répète-t-il le 29 avril à des journalistes … qu'il invite à se structurer en syndicat pour peser davantage. «Saadani est un enfant de l'UGTA», déclarait en octobre Abdelmadjid Sidi Saïd, lors d'une cérémonie organisée à Alegr en l'honneur du nouvel homme fort du FLN. Tout le gratin s'y était convié. Ambitieux Aujourd'hui, Amar Saadani semble davantage esseulé. Certes, le bureau politique du FLN lui a renouvelé sa confiance et dénoncé les attaques dont il était victime. Mais pas une voix ne s'est élevée par-dessus les autres pour défendre l'homme. Pis : la recomposition du gouvernement laisse les caciques du parti sur le carreau. Avant le remaniement, le patron du FLN revendiquait pour sa formation politique - la première du pays - le poste de Premier ministre. In fine, Abdelmalek Sellal a été reconduit. Un désaveu ? L'ancien syndicaliste refuse de s'avouer vaincu : «C'est un gouvernement de transition. Sa mission s'achèvera après la révision constitutionnelle. Le FLN retournera au gouvernement en force après». Ambitieux, Amar Saadani ne réclame pour l'heure aucun poste. Tout dévolu à la tâche qui lui a été assignée : tenir fermement les rênes d'un parti où les tensions internes menacent de repartir de plus belle. Le secrétaire général espère aussi faire la place aux jeunes. Au QG d'Hydra, la cellule « réseaux sociaux » a toujours droit de cité. Ils sont une dizaine à l'animer, à veiller sur le web, actualiser la page Facebook et former des relais numériques au niveau de chaque mouhafadha. «La prochaine fois que vous verrez le patron, questionnez-le sur notre travail, suggère l'un de ces jeunes. Vous verrez, il est très fier du travail accompli». La petite équipe veille néanmoins à ne pas trop faire de vagues. Fidèle à la ligne présidentielle qu'Amar Saadani s'est juré de faire respecter. Le petit doigt sur la couture du pantalon – trop large –, ce dernier brandit sa loyauté en étendard. «C'est pour ça qu'il y va doucement sur l'affaire des 300 millions, confesse l'un de ses proches. Il pourrait attaquer beaucoup plus violemment le DRS. Mais il ne le fera pas tant qu'El Mouradia ne lui aura pas donné le feu vert». Un parfait petit soldat.