S'il est un produit dont les prix sont les plus volatiles sur le marché, c'est bien celui de la volaille. Quelques facteurs saisonniers expliquent parfois la hausse des prix, comme les grandes chaleurs et certaines fêtes religieuses, mais pas toujours. L'année dernière, les prix du poulet ont atteint une moyenne de 300 DA le Kilogramme, selon le ministère du Commerce, en baisse de 10% par rapport à 2012. Les pics atteignaient parfois 500 voire 600 DA le kg. Pourtant, ce n'est pas la consommation qui a explosé. Sur les trois dernières décennies (1980-2010), il est apparu que l'Algérien consommait plus qu'il y a 10 ans, mais moins qu'il y a 20 ans. Si sa consommation annuelle a doublé entre 1980 et 1990, elle a cependant chuté de 50% la décennie suivante. La période qui coïncide avec la baisse de la consommation est également associée à une période de baisse de la production, à moins de 200 000 tonnes. Aujourd'hui, la production est repartie à des niveaux supérieurs pour une consommation qui serait autour de 15 kg par habitant et par an. A court terme, ce chiffre devrait doubler selon certaines études réalisées par des cabinets d'étude algériens, à condition de produire plus d'un million de tonnes par an. La consommation du citoyen est un facteur important, mais pas déterminant dans le fonctionnement de la filière, d'autres facteurs viennent se greffer à la chaîne. Pour autant, une consommation qui faiblit est une demande en moins et un risque de perte pour les éleveurs. Et ces dernières années, la consommation est fluctuante, nous dit l'un d'eux. «Les ménages dépensent moins pour la nourriture parce qu'ils ont d'autres dépenses à charge : voiture, téléphone, habitat», déplore Khider Noureddine. L'enquête de l'ONS sur la consommation des ménages a montré qu'entre 2000 et 2011, les dépenses d'alimentation avaient baissé de près de 3%. Pour les viandes blanches, elle est aussi soumise à la loi des saisons et aussi au marché des légumes. Quand ceux-ci baissent, «les ménages n'achètent plus de viande blanche», nous dit notre interlocuteur. Désorganisation Le dysfonctionnement se situe ailleurs, dans l'organisation même de la filière. Une étude rétrospective sur l'évolution de la filière laisse apparaître de multiples carences à différentes phases de développement de la filière. Un document réalisé par l'Institut des techniques d'élevage relève ainsi que les coopératives avicoles mises en place à partir de 1974 n'ont pas joué le rôle qu'elles auraient dû faute de «moyens matériels et de cadres spécialisés» dans la filière. Au début des années 1980, le nouveau plan avicole n'a pas non plus donné de fruits en raison «d'insuffisances dans la conduite des élevages et dans l'entretien des bâtiments dus à une main-d'œuvre insuffisamment qualifiée». A la fin des années 1980, la réponse aux besoins de consommation n'a pas pour autant réglé le problème de «la structuration et l'organisation de la filière» avec de surcroît une forte dépendance à l'importation des intrants (aliments et matériaux biologiques). Les choses se sont encore aggravées durant les années 1990, la filière subissant les effets du PAS et par la suite le désengagement de l'Etat de la sphère économique. L'embellie financière des années 2000 a permis d'entreprendre des réformes allant dans le sens de la restructuration des entreprises publiques et l'incitation à une plus grande implication du privé. C'est chose faite puisque le secteur privé domine aujourd'hui les deux tiers de la production. Toutefois, comme le souligne le document, «la restructuration n'a pas eu lieu dans le sens de professionnalisation de la filière». Et c'est là que semble résider tout le problème. Parasites Les éleveurs et producteurs se plaignent de l'intervention dans la filière de personnes étrangères au métier. Ce sont «des parasites», déplore M. Khider car ils interviennent d'une manière irrégulière. Selon certaines informations, ils représenteraient les trois quarts du marché. Ils sont là quand le marché est en hausse et se retirent quand les prix sont bas en raison d'une demande en baisse. Dans ce cas, ce sont les professionnels du métier qui en pâtissent. Certains producteurs font le forcing «pour la mise en place des élevages en prévision des fêtes ou du Ramadhan, ensuite ils s'arrêtent», explique-t-on. Ceux qui font dans la reproduction sont obligés de casser les prix des poussins sous peine de les voir périr, explique M. Khider. Conséquence, la production est irrégulière et les prix instables. En période de creux, ces derniers touchent les sommets, comme pendant l'été où les petits éleveurs se retirent pour minimiser les pertes, amputant le marché de près d'un quart de la production. Limites Régulateur, l'Etat a pris certaines mesures comme la suppression de la TVA et des droits de douane sur l'importation du maïs et du soja, ce qui a eu pour effet une multiplication du nombre d'intervenants dans la filière. Le SYRPALAC (système de régulation des prix des produits de large consommation) qui a été élargi au poulet dès 2009 semble avoir une portée limitée quand les prix s'envolent. «Les gens n'aiment pas acheter du congelé», commente un producteur. Le fait est que le gouvernement, pour ce qui est de la filière avicole a choisi de réguler «par la pénurie», observe-t-on dans le secteur, et non par l'importation, comme cela se fait pour la viande par exemple. Cela vaut même lors des périodes où la production est à l'arrêt, ce qui a pour effet d'alimenter la spéculation. Pour expliquer ce choix, les avis divergent. M. Khider estime que les prix fluctuent si vite que «le temps que les importations arrivent les prix seraient redescendus». D'autres évoquent un problème de prix à l'import. A l'international, la viande blanche est moins chère qu'en Algérie, où la production est dépendante des importations des aliments de volaille et les prix évoluent donc également au rythme des prix du maïs et du soja. L'importation de poulet tuerait donc carrément les producteurs locaux, estiment certains experts de la filière. La crise de la filière avicole semble buter sur les moyens à mettre en œuvre pour l'assainir, la professionnaliser et l'organiser. L'instabilité et l'irrégularité qui la caractérisent laissent penser à une filière dont la gestion est non maîtrisée, bien que ses maux soient connus. Forte dépendance des intrants, faiblesse des capacités d'abattage et de stockage, multitude d'intervenants informels, manque de professionnalisation, sont autant de points sur lesquels il faudra plancher.