La 17e Conférence des pays Non-Alignés à Alger peut marquer une nouvelle dynamique pour la diplomatie algérienne face à un monde en plein bouleversement, mais qui reste porteur des mêmes défis de développement et de justice sociale entre le Sud et le Nord qu'après 1945. «Le monde a évolué, mais les menaces contre le Tiers-Monde ont-elles changé ?» Hocine Meghlaoui, ancien secrétaire général des Affaires étrangères, en est convaincu : la 17e Conférence du Mouvement des pays non-alignés, qui s'est tenue à Alger de lundi à hier soir, réunissant près de 80 délégations étrangères, n'a rien de désuet. Alors que la crise syrienne a vu se reformer de nouveaux blocs, d'un côté le bloc sino-russe, de l'autre, les puissances occidentales sous influence des Etats-Unis, avec obligation d'allégeance à un groupe ou à l'autre, l'ancien diplomate Sid Ahmed Ghozali, remarque que «l'esprit qui a animé le mouvement en 1955 — l'indépendance vis-à-vis des grands blocs — reste le même. Mais il faut le reformuler». Amazit Boukhalfa, un journaliste qui a couvert de nombreux sommets, estime aussi qu'il n'y a dans cette rencontre rien «d'anachronique». «Les problèmes actuels, complexes, liés à l'économie, à la redéfinition des espaces nationaux, comme au Moyen-Orient, aux nouvelles ambitions des grandes puissances, nécessitent une concertation très large. Il faut que quelqu'un pose les questions du moment. Par exemple : allons-nous laisser les Nations unies et cette obsolescence qu'est le Conseil de sécurité continuer à s'occuper, comme il est en train de le faire, de la crise syrienne et ukrainienne ?» Le ministre des Affaires étrangères l'a clairement dit cette semaine : «Le mouvement a un passé, un présent et un avenir tant que le projet auquel il s'identifie, ce serait-ce que celui de la démocratisation des relations internationales, de la démocratisation des Nations unies et celui de la réforme du Conseil de sécurité, n'aura pas abouti. Tant que ces chantiers n'auront pas abouti, la mission du Mouvement des Non-Alignés ne sera pas terminée.» Arrière-pensée L'ancien diplomate Abdelaziz Rahabi rappelle par ailleurs que les pays du MNA constituent «le groupe le plus puissant au sein de l'ONU». «Le mouvement, qui, à sa création, pesait par le nombre de pays (ils étaient 77 en 1956, ndlr) représente aujourd'hui aussi une force économique.» Selon une étude de la Commission économique des Nations unies pour l'Afrique, le commerce Sud-Sud a progressé de 12% par an en moyenne entre 1996 et 2009, soit 50% de plus que les échanges Nord-Sud. Quant aux Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), ils représentent à eux seuls 40% de la population mondiale, plus d'un cinquième de la production mondiale et près d'un cinquième des échanges commerciaux et des flux des IDE dans le monde. «Le fait qu'il y ait encore 120 Etats membres qui représentent les deux tiers de l'humanité signifie que le mouvement n'a rien perdu de sa pertinence malgré les mutations profondes dans les relations internationales, en pleine recomposition des équilibres géostratégiques», a aussi souligné Taos Ferroukhi, directrice générale des affaires politiques et de la sécurité internationale aux AE. Plus sceptique, l'ex-diplomate Kamel Bouchama reconnaît que «si la Syrie a ressuscité sans le vouloir un non-alignement qui ne dit pas son nom, le temps n'est plus à ce genre de grand rassemblement. Les pays peuvent s'accorder sur des textes, des valeurs communes, mais ce ne sont que les ingrédients d'une mayonnaise. Cela ne signifie par pour autant que cette mayonnaise prendra.» Hocine Meghaloui ne se fait aussi aucune illusion mais nuance, «Je ne crois pas que le sommet d'Alger aura des effets directs sur les grandes questions internationales actuelles. Mais le fait de se réunir et de rappeler les principes du non-alignement est positif et ce sera un poids lors des prochaines assemblées générales à l'ONU.» Tâcheron L'Algérie pourrait aussi tirer bien des dividendes de cette rencontre. «La conférence d'Alger peut, si les principes diplomatiques deviennent des principes politiques, amorcer quelque chose d'inédit, souligne Amazit Boukhalfa. Car contrairement aux sommets de Sharm El Cheikh (2009), où les Egyptiens visaient un siège à l'ONU, et de Téhéran (2012) où les Iraniens cherchaient aussi à obtenir plus pour les pays de l'OCI, l'Algérie n'a aucune arrière-pensée. Elle se veut la voix de tous les pays, pas seulement celle d'Alger.» Un cadre des Affaires étrangères estime que le contexte est particulièrement favorable au retour de l'Algérie sur la scène internationale. «L'éclatement de la Libye, - qui suppléait l'Algérie en Afrique avec sa diplomatie de l'argent pendant que nous faisions de la diplomatie sous-terraine, elle passait derrière et arrosait tout le monde - peut également nous permettre de jouer un rôle de premier plan.» Abdelaziz Rahabi, d'habitude plutôt critique sur la politique extérieure du régime, trouve dans cette rencontre les signes d'un renouveau : «Cette conférence montre surtout que l'Algérie aurait dû en organiser une plus tôt ! Je suis heureux que l'actuel ministre des Affaires étrangères marque une nouvelle orientation de la diplomatie algérienne, plus pragmatique, plus à même de servir les intérêts du pays, en se positionnant comme le porte-parole des Non-Alignés, sur des sujets aussi importants que le Sahel, et puisse un jour revenir à la question palestinienne.» Un conseiller du ministère considère aussi que la personnalité de l'actuel chef de la diplomatie peut impacter plus encore cette politique. «On aurait tort de croire que ce qui se passe à Alger est de l'ordre du nostalgique. Lamamra n'est pas un nostalgique. Il fait partie de l'école de New York. Comme de nombreux diplomates qui ont appris la diplomatie aux Nations unies, en tâcheron des relations internationales, il est convaincu qu'il faut changer de l'intérieur les équilibres qui prévalent depuis 1945 à l'ONU. »