Il ne part que pour mieux revenir. Détesté même à l'intérieur du pouvoir, l'homme maîtrise parfaitement l'art de la manœuvre. Quand le vent ne tourne pas comme il le souhaite, il se cache pour… rebondir une fois la tempête passée. Rusé et bon orateur, il fait valoir toujours sa compétence pour reprendre place au-devant de la scène. Il réussit toujours à se remettre sur les rails au moment où tout le monde pensait que son train a définitivement déraillé. Il s'agit d'Ahmed Ouyahia, actuel directeur de cabinet de la présidence de la République. Considéré comme l'une des figures politiques les plus connues en Algérie de ces deux dernières décennies, l'homme a un parcours en dents de scie ; il flirte avec les cimes du pouvoir, avant de trébucher et de faire une chute libre. Sans pour autant interrompre sa carrière politique qui est constamment relancée. Comme par magie, il se retrouve toujours aux avant-postes pour attendre une éventuelle «rencontre avec son destin» qui le porterait à la présidence de la République. Une institution dont il connaît parfaitement les locaux, sauf, peut-être, la voie qui mène aux commandes de la République. Résistance à la tentation gauchiste Né, le 2 juillet 1952 à Bouadnane dans la wilaya de Tizi Ouzou, Ahmed Ouyahia a émigré, très jeune, à Alger pour suivre ses études primaires, de 1958 à 1965, avant d'entrer au lycée El Idrissi d'où il obtient son baccalauréat ès lettres en 1972. Durant la même année, le jeune Ouyahia passe, avec succès — reçu parmi les trois premiers — le concours d'entrée à la prestigieuse Ecole nationale d'administration (ENA). Diplômé en sciences politiques, Ahmed Ouyahia établit vite les premiers contacts avec les «hautes sphères». D'abord dans le cadre du service militaire qu'il a passé, de 1977 à 1978, à El Mouradia où il a intégré l'équipe des relations publiques. Ses débuts dans la politique commencent alors qu'il était encore étudiant à l'ENA. Certains militants de l'ancien PAGS l'ont même approché pour l'enrôler dans leurs rangs. «Il avait amicalement refusé l'offre», raconte une des personnes qui avait pris contact avec lui. C'était à l'époque du parti unique. Ahmed Ouyahia résiste à la tentation «gauchiste-pagsiste» pour prendre une trajectoire opposée. Il devient fonctionnaire dès 1978, d'abord en tant qu'administrateur stagiaire au département des affaires africaines de la présidence de la République. La décennie 1980, Ahmed Ouyahia la passe presque entièrement à l'étranger : conseiller aux affaires étrangères à l'ambassade d'Algérie en Côte d'Ivoire en 1981, membre de la direction de la mission permanente de l'Algérie aux Nations unies à New York en 1984, avant de devenir, entre 1988 et 1989 co-représentant algérien au Conseil de sécurité des Nations unies. Il n'a été rappelé qu'en novembre 1990 pour assumer le poste du chargé d'études au cabinet du ministre des Affaires étrangères, avant de devenir, moins d'un mois plus tard, le directeur général du département africain du ministère. Désigné ambassadeur au Mali, chargé de la médiation entre le gouvernement malien et le mouvement touareg, Azawad, Ahmed Ouyahia n'assume son premier poste dans un gouvernement qu'en 1993, sous la houlette de Rédha Malek. Il avait été nommé sous-secrétaire d'Etat aux affaires arabes et africaines. Des records à la tête du gouvernement Une année plus tard, il revient encore à la Présidence pour diriger le cabinet du président Liamine Zeroual. Ce dernier n'hésite pas à lui confier, dès 1995, la chefferie du gouvernement. Un poste qu'il accapare jusqu'à 1998. Durant, ce mandat, l'homme a été appelé à conduire une politique, souvent, contestée et contestable. Des «sales besognes», qu'il assume entièrement. Les négociations avec le FMI, le rééchelonnement de la dette, l'ajustement structurel, les privatisations des entreprises publiques, le licenciement massif des travailleurs et l'emprisonnement des cadres sont restés comme des taches noires dans son parcours. Ils accentuent même son impopularité. Cependant, sa carrière n'est pas entamée. Au contraire, Ahmed Ouyahia réussit même à jouer des mauvais tours à Tahar Benbaïbeche pour prendre sa place à la tête du Rassemblement national démocratique (RND), alors parti majoritaire à l'APN, et garder un pied dans le gouvernement du nouveau président à l'époque, Abdelaziz Bouteflika. «Plus royaliste que le roi», il affiche, sans gêne aucune, sa loyauté au nouveau maître d'El Mouradia comme il l'a fait avec son prédécesseur. Ses engagements, il les fait avec un excès de zèle imbattable. Alors qu'il assumait ostentatoirement son statut d'éradicateur du terrorisme sous Liamine Zeroual, Ahmed Ouyahia devient un fervent défenseur de la concorde civile, puis de la réconciliation nationale avec Abdelaziz Bouteflika. Cette promptitude et cette capacité à marcher dans tous les sens, sans remords de conscience, fait de lui le «joker» du pouvoir. On lui fait appel à chaque crise ou impasse, tantôt pour engager des négociations, tantôt pour conduire un gouvernement. Le «commis de l'Etat», comme il aime se définir, en sort cependant toujours affaibli, en perdant davantage de crédibilité. Il l'a d'ailleurs vérifié à plusieurs reprises, lors des événements du Printemps noir en Kabylie et tout récemment à l'occasion des émeutes du mois de janvier 2011. Des ambitions toujours refoulées Ses positions ne font que l'enfoncer. Mais cela ne l'empêche pas de récidiver, brimant encore plus sa cote de popularité qui touche déjà le fond. Son impopularité lui fait perdre même les commandes du RND qu'il gérait, pourtant, d'une main de fer, quatorze ans durant. A ce moment-là, l'homme, affirmaient les observateurs de la scène nationale, «est définitivement enterré». Seulement sa docilité et sa capacité à refouler, dans son subconscient, ses ambitions personnelles le propulsent à nouveau au-devant de la scène. A la veille de la dernière présidentielle et alors que l'option du quatrième mandat du président Bouteflika est largement contestée, Ahmed Ouyahia est rappelé après deux ans d'éclipse. Par coïncidence, ou calculs dont on ne connaît pas encore les secrets, il occupe le même poste que celui qu'il a eu à assumer sous Liamine Zeroual : directeur de cabinet de la présidence de la République. Sa nomination à ce poste sensible, compte tenu de l'état de santé du président Bouteflika, est considérée comme une importante promotion pour celui qui a toujours joué les seconds rôles dans l'échiquier du pouvoir. Une promotion qui, dit-on, le place en «vrai décideur», en attendant, peut-être, le jour de sa rencontre, qu'il a tant espéré, avec «son destin» : devenir président de la République.