Quarante-cinq ans, de gentils yeux couleur miel, un air un tantinet provocateur, sur de soi, il veut à tout prix cacher ses qualités de meneurs d'homme, avançant son amour pour l'esprit de groupe, tout en affichant sa fierté de susciter autant de respect et de sollicitude auprès de la jeune génération de militants. Nadir Boukhetta affectionne le monde virtuel des réseaux sociaux où il a pu développer son réseau de connaissances et jauger l'acceptabilité, voire la sensibilité aux sujets rattachés à la protection de l'environnement. C'est de là que le passage du monde virtuel à la réalité du terrain a été décidé. Il est issu d'une famille ou militantisme et politique font partie du legs paternel. Fils d'un militant et moudjahid de la lutte pour la Libération nationale, acteur actif des manifestations populaires du 27 février 1962, (c'est) le jour où la population de Ouargla s'est prononcée contre la séparation du Sahara du reste de l'Algérie, au plus vif des négociations d'Evian. Nous n'en sommes pas loin, vu la mobilisation et l'engouement général suscités par l'appel de Houmat El Watan, les gardiens de la patrie. Il est donc enseignant à l'école primaire des 460 logements à Ouargla. En 1987, il organisait avec quelques camarades la première manifestation revendiquant la création d'une université à Ouargla, avant de se porter volontaire pour aider les familles de détenus des camps du Sud durant la décennie noire en Algérie. Plus tard, il apportera son aide au mouvement des chômeurs d'Ouargla pour formuler leurs slogans et mobiliser les jeunes. Nadir est celui qui a lu avec toute la clarté voulue le communiqué du collectif Houmat El Watan, lors de la manifestation du 14 juin dernier. Mouvement dont il est l'un des fondateurs, sinon le père spirituel et qu'il a créé avec une vingtaine de délégués d'associations de protection de l'environnement, d'aide aux malades et aux démunis et l'incontournable CNDDC, en plus de plusieurs militants lambda. Il raconte : « Des gens m'ont contacté via Facebook pour dénoncer les desseins du gouvernement concernant l'exploitation du gaz de schiste au sud». Entre-temps, une pétition électronique anti-gaz de schiste, des autocollants sur les véhicules, une grande marche pensée à l'image de la Milyonia du 14 mars 2013. Ils semblent pressés par les déclarations successives du gouvernement, rencontres quasi quotidiennes à travers les quartiers, réunions avec les membres du collectif, distribution de dépliants pour sensibiliser aux dangers des énergies non conventionnelles et une conférence sur le gaz de schiste en gestation. Déclarations inquiétantes «Il a fallu que Sellal reconnaisse de lui-même les dangers que cela représente tout en arguant que c'est un passage obligé pour le pays pour nous motiver encore plus». Pour Nadir Boukhetta, le gouvernement algérien est doublement coupable puisqu'il est conscient de ce qu'il entreprend. «Nous, on pense que c'est une vision erronée du développement, c'est toujours la rente qui prime même sur le long court. L'Algérie n'existe t-elle que par ses ressources ? Où est la dimension humaine et environnementale ?». Le collectif estime que l'Algérie est dans une impasse, se sentant incapable d'honorer ses engagements envers l'Europe, des contrats dont elle aurait encaissé le paiement d'avance, ceci sans parler des propres besoins en énergie pour faire tourner le pays, les décideurs veulent brader le Sahara et ses habitants. Nadir est ses amis estiment, eux, que «depuis l'indépendance nous sommes à 97% dépendants des hydrocarbures et même quand nos rentrées étaient au top, la politique économique des gouvernements successifs n'a pas réussi à mettre en place une vraie industrie, ni une vraie agriculture, ni préparer le passage à une vraie économie productive. Actuellement, nous sommes à 98% dépendants des hydrocarbures et Sellal nous annonce que ces ressources vont tarir à l'horizon 2030. Instaure-t-il pour autant une vraie économie en Algérie ? Rien n'est moins sur !». Les défenseurs de la nation pensent que le gouvernement ne fait rien pour donner confiance en l'avenir. Comment alors croire que ce soit Sellal qui va inverser la vapeur et mettre sur les rails une économie réelle qui ne fait pas qu'épuiser les ressources naturelles ? Alternatives La marche contre le gaz de schiste de samedi dernier a interpellé à la fois le peuple, le chef de l'Etat, le gouvernement, l'institution militaire, la famille révolutionnaire et les oulémas. Elle a dit haut et fort qu'il existe d'autres alternatives, que l'exploitation du gaz de schiste n'est pas moins coûteuse que le solaire, que 50 sociétés américaines spécialisées dans l'exploitation de cette énergie non conventionnelle viennent d'annoncer leur faillite. Le collectif a ses spécialistes en la matière ; l'un d'eux, un ingénieur, explique comment le processus de fracturation, qui se fait à l'aide d'une forte pression d'eau, inclut plus de 570 produits chimiques toxiques qui resteront dans les eaux, sous terre. «Nous avons vu des vidéos impressionnantes d'eau polluée enflammée à cause de ce gaz. Et nous sommes conscients que notre Sahara compte une des plus grandes réserves d'eau du monde, sinon la plus grande. Nous voulons continuer à vivre sur les terres de nos ancêtres et nous voulons préserver notre Sahara. Le gouvernement doit réviser sa position et inclure notre revendication.». Et si le gouvernement maintient ses projets ? Le collectif pense recourir à toutes les formes de revendication, y compris celles non conventionnelles qu'il se garde de dévoiler pour le moment. Ouvrir le débat sur le gaz de schiste, renforcer le contact avec les forces vives à travers les wilayas concernées. Adrar, Djelfa et Annaba sont les trois premières wilayas à adhérer à ce collectif. Convier le ministre de l'Energie à venir en discuter au Sud, mobiliser les députés contre leurs propres formations politiques, Houmat Al Watan comptent ouvrir toutes les questions d'actualité concernant le Sud algérien dans le cadre d'un forum. Ils ont de l'audace ! Auront-ils la longue haleine ?