Deux jours seulement après avoir qualifié la colonisation française en Algérie de « l'une des formes de colonisation les plus barbares de l'histoire », le président Bouteflika, dans une allocution prononcée mardi à l'occasion de la fête de l'Indépendance et de la Jeunesse, livre explicitement la sentence : « Le moindre des devoirs envers notre peuple et nos vaillants chouhada est de réclamer des excuses officielles d'une nation dont la révolution humaine avait pour slogan liberté, égalité et fraternité. » Ainsi, cette exigence de repentance officielle, qui constitue, faut-il le souligner, une première depuis l'indépendance de l'Algérie en 1962, ne manquera pas de baliser les relations politiques entre Alger et Paris. Poursuivant ce qui s'apparente à un véritable réquisitoire contre la France, le chef de l'Etat ajoute : « Par devoir de mémoire, de conscience, de morale, mais aussi de civilisation, de justice et de respect des droits de l'homme et des peuples, les auteurs des crimes odieux pendant la colonisation doivent reconnaître leurs erreurs et présenter publiquement des excuses aux victimes. » Le président de la République, avec un verbe direct, voire caustique, dira que la France « doit assumer pleinement ses responsabilités historiques et démontrer réellement sa volonté sincère d'amorcer une nouvelle ère pour les relations d'amitié, de partenariat et de respect mutuel ». Une déclaration lourde de sens puisqu'elle suggère directement que l'échec ou la réussite du traité d'amitié dépend de la volonté réelle de la partie française. En tout cas, l'approche du président Bouteflika est davantage explicitée : pour que les deux pays amorcent « une nouvelle ère pour les relations d'amitié », la France « doit assumer ses responsabilités historiques ». Au bout du compte, la signature du traité d'amitié, annoncée par MM. Chirac et Bouteflika dans la déclaration d'Alger en 2003, est tributaire de la présentation par la France à l'Algérie d'excuses officielles pour les crimes commis entre 1830 et 1962. Les effets de la loi du 23 février 2005 La polémique entre Alger et Paris concernant cette page historique (1830-1962) avait été enclenchée suite à l'adoption de la loi française du 23 février 2005 dont un article reconnaît un « rôle positif » à la colonisation, notamment en Afrique du Nord. Dès lors, le président Bouteflika, dans un discours prononcé à l'occasion des événements du 8 Mai 45, qualifie la colonisation française de « génocide identitaire ». En août 2005, M. Bouteflika affirme, également, que les Français « n'ont pas d'autres choix que de reconnaître qu'ils ont torturé, tué, exterminé de 1830 à 1962, qu'ils ont voulu anéantir l'identité algérienne ». La polémique enfle à telle enseigne qu'il aura fallu l'intervention du président Chirac pour l'abrogation de l'article contesté. La signature du traité d'amitié prévue avant fin 2005 a été repoussée sine die à cause de cette polémique. Le chef de la diplomatie française, Philippe Douste-Blazy, s'est rendu à Alger, début avril 2006, pour tenter, sans succès, de relancer ce traité qui prévoyait d'instaurer un « partenariat d'exception » entre les deux pays. A Paris, le statu quo persiste et est ponctué par la sortie médiatique de Douste-Blazy qui « réaffirme » les aspects positifs de la colonisation de l'Algérie par la France. Le président Bouteflika, dans un message adressé dimanche dernier aux participants à un colloque international à Alger, qualifie la colonisation française en Algérie de l'« une des formes les plus barbares de l'histoire » tout en réitérant son souhait d'une « repentance » de la France. Il a expliqué que cette « barbarie » était « caractérisée par la destruction et les violations flagrantes des droits naturels et civiques les plus élémentaires du peuple algérien ». En des termes acerbes, comme « crimes odieux », « pratiques abjectes », « barbarie », « brutalité », le chef de l'Etat a dénoncé la colonisation française tout en évoquant, comme une sorte d'exemple à suivre, « la repentance de nombreux anciens colonisateurs et leur reconnaissance officielle de leurs crimes contre les peuples colonisés ». Dans son allocution du 4 juillet, M. Bouteflika a souligné, par ailleurs, que l'Algérie d'aujourd'hui « possède une vision d'avenir positive, vit la réconciliation globale avec soi, avec l'histoire et avec autrui et ouvre une page magnifique de tolérance, d'amitié, de coopération et de partenariat basée sur l'égalité et le respect mutuel ». Jusqu'à hier, aucune réaction officielle n'a été enregistrée du côté de la partie française.