Les recueils de nouvelles sont une denrée rare sur le marché éditorial algérien. Cet art de raconter en peu de mots une histoire exige de la concision, de l'ingéniosité et beaucoup de travail. Et, souvent, les auteurs croient que le prestige pourrait venir par le roman alors que dans un pays comme les Etats-Unis, la notoriété littéraire passe souvent par la maîtrise de l'art de la nouvelle. Mais il ne faut jamais désespérer de la littérature algérienne qui continue de surprendre par sa vitalité, comme ici avec Trop tard, recueil de huit nouvelles de Hajar Bali*. Cette mathématicienne et dramaturge réussit à restituer avec une grande sensibilité les relations à l'intérieur du couple et tous les malentendus qui causent leur perte. Le recueil nous permet de pénétrer certaines intimités mais sans le côté voyeur, comme dans la nouvelle intitulée Bêtes à bon Dieu. On découvre le petit Mehdi dont le père a quitté la maison et son désir de le remplacer. Les aventures de l'enfant sont touchantes. Il veut aider sa maman et montrer que l'absence du père est une occasion de s'affirmer. Il devient petit vendeur au marché. Mais la rue reste un lieu dangereux où sévissent des pervers qui peuvent profiter de la fragilité des petits. Mehdi peut être l'archétype de la théorie freudienne immortalisée dans Totem et tabou. Mehdi rêve d'une carrière de footballeur. Dans une autre nouvelle, La chaussette à la main, Hajar Bali nous transporte dans les arcanes de l'enquête policière et de la difficulté de la mener à son terme. Un grand poète aurait tué son épouse. L'intrigue, bien menée, recèle beaucoup de surprises. L'étau se resserre puis se desserre autour de ce poète qu'on soupçonne d'être une sorte d'usurpateur et de plagiaire. L'enquête policière devient un prétexte pour parler du milieu éditorial et des réputations surfaites. L'enquête est pleine de rebondissements et les coupables sont nombreux, un peu comme dans un roman d'Agatha Christie. Les témoignages débordent sur le meurtre pour épouser des contours d'aspects farfelus. Un autre thème vient s'ajouter au huis clos de l'intimité du couple, celui de la vieillesse, de la nostalgie de l'être aimé et toute une réflexion sur le temps qui passe. On retrouve ce condensé dans la nouvelle La Mante. Le lecteur pourrait, en s'amusant, la rebaptiser «La possibilité d'une rencontre». Dès l'entame, le narrateur se plaint de sa femme de ménage qui ne cesse de chaparder des choses qu'il juge importantes comme ses livres. On découvre qu'il est habité par le souvenir de sa défunte épouse, Hélène. Il donne l'impression qu'il veut la rejoindre coûte que coûte. Mais dans cette propension à hâter la fin, il fait la rencontre d'une jeune femme et l'espoir renaît avec le désir de continuer à vivre. Des rencontres quotidiennes et des échanges autour d'une boisson lui donnent le courage de continuer et d'oublier la mort de l'autre. Hajar Bali excelle dans la retranscription de cette musique interne que les sentiments interprètent. Les sons nous parviennent comme des morceaux lyriques. Et cette musique, on la retrouve aussi bien rendue dans la nouvelle qui ouvre le bal de ce recueil et qui s'intitule Le petit pépin de pastèque. Le titre peut être lu comme une sorte d'allégorie à ces grains de sable qui viennent enrayer le bon fonctionnement de la mécanique du couple. Une mécanique qui s'use par la routine et certaines négligences. Mais dans cette dérive des sentiments, la narratrice fait tout pour remettre le navire à flots. Les stratégies utilisées sont simples comme, par exemple, s'occuper de son intérieur de la façon la plus précautionneuse en combattant la moindre poussière et le moindre désordre. Dans cette quête de l'harmonie absolue, l'être aimé, Samir, semble naviguer vers d'autres rivages moins regardants sur les futilités d'une asepsie maladive. Dans cette nouvelle, l'auteure fait un clin d'œil à Kafka et à son incontournable Métamorphose. Dans l'avant-dernière nouvelle du recueil, Les chiens errants, on découvre comment naissent les histoires d'amour et quels travers elles peuvent prendre. C'est ainsi que Malika, bien sous tous rapports, rencontre Seïf sur une piste de danse. C'est le coup de foudre et la promesse d'une romance qui fera date. Mais, il se trouve que ce jeune aime flirter avec le danger en vivant dans une complète insouciance. Seïf a un côté godardien qui rappelle le film A bout de souffle, une sorte de réincarnation du personnage admirablement interprété par Jean-Paul Belmondo. Malika s'affranchit du carcan familial et de la surveillance des voisins. Elle découvre l'univers glauque des bars miteux et des personnages louches comme ce Mr Beddar (proche du «beggar» ou bouvier), un homme qui exerce fascination et répulsion sur le couple ou comme l'ami Marco. Le lecteur est laissé seul juge de cette humanité inventée par Hajar Bali. Avec une écriture maîtrisée et subtile, l'auteure nous livre un panorama complet des sentiments qui sont à l'œuvre dans les situations de ruptures, de détresse et aussi de moments où le bonheur est à portée de main. Cette symphonie qui remonte des profondeurs de l'âme dompte les incompréhensions et les absurdités pour montrer que la vie peut contenir beaucoup de moments de plaisir.