Evoquer la mémoire et le parcours remarquable de celui qui fut et restera le fondateur de l'endocrinologie dans notre pays après l'indépendance renvoie à la douleur que sa disparition récente a gravée dans le cœur de ses proches, avec une pensée particulière et émue pour sa sœur Assia, fidèle d'entre les fidèles. La disparition du professeur Moulay Ben Miloud a aussi frappé d'une grande tristesse ses amis, ses pairs et ses nombreux élèves, présents en Algérie ou établis à l'étranger. D'ailleurs, beaucoup parmi ses disciples auraient pu lui rendre hommage tant l'autorité naturelle qui émanait de son élégante personne, suscitait d'emblée et unanimement le respect. Et ce respect allait bien au-delà de la simple considération due aux maîtres qu'impose aux médecins la tradition hippocratique. Ce respect se renforça même au fil du temps, malgré son départ à la retraite et son éloignement à Oran où il choisit de vivre il y a près de vingt ans. Car en dépit de la distance, il restait très présent dans les esprits. Nous l'appelions de plus en plus volontiers et familièrement… «le patron». Le patron non pas seulement du service d'endocrinologie du Centre Pierre et Marie Curie d'Alger, qu'il dirigea pendant une trentaine d'années à partir de 1965, non pas seulement désigné par un titre limité dans le temps et l'espace, mais «le patron» de tous les endocrinologues algériens, quels que soient leur âge, leur lieu ou mode d'exercice, «le patron» en somme de tous et pour toujours. Il était également nommé ainsi pour que nul n'oublie sa place première, on devrait dire sa place originelle au sein de la spécialité. «Le patron» enfin, pour la connotation de proximité et d'affection que revêt ce terme, dans le but, sans doute, de compenser et faire oublier son absence… J'ai été touchée que le professeur Mourad Semghouni, président de la Société d'endocrinologie et chef de l'ancien service du professeur Moulay Ben Miloud, ait eu la délicatesse de me solliciter pour évoquer son souvenir. Peut-être a-t-il considéré que cet honneur et le devoir de mémoire devaient naturellement revenir à l'une de ses premières élèves, qui a fait ses débuts dans la discipline en tant qu'interne des hôpitaux durant l'été 1968. De cette bienfaisante remontée dans le temps domine le sentiment de fierté d'avoir appartenu à son école, sentiment auquel s'ajoute le bonheur que l'apprentissage de notre belle spécialité se soit inscrit, pour moi, dans une période particulière de l'histoire de notre pays. Epoque exaltante de ferveur patriotique où la mission des hospitalo-universitaires de cette génération se confondait avec l'œuvre d'édification nationale. Cette synergie entre un destin individuel et le projet collectif transparaît à toutes les étapes de la carrière de notre maître qui avait une vision ambitieuse, globale, moderne, voire avant-gardiste de la spécialité. Ayant bénéficié d'une formation aux Etats-Unis, à l'université de Boston plus précisément, il avait perçu l'ensemble des dimensions et facettes de l'endocrinologie qu'il s'est employé, dès l'ouverture de son service en 1965, à mettre en œuvre et à transmettre avec une rigueur et une constance inflexibles. Il était passionné par les aspects fondamentaux de la discipline, y compris de l'endocrinologie animale. Curieux également des mécanismes physiopathologiques des maladies endocriniennes les plus fins et les plus récents, il veillait pour lui-même et son équipe à l'actualisation permanente des connaissances. Par ailleurs, son goût pour les études et enquêtes de terrain a guidé toute une floraison de travaux dont la ligne directrice fut la carence iodée, alors fléau endémique de santé publique dans notre pays. Tous les aspects du déficit en iode furent abordés, sa répartition géographique, ses conséquences et surtout sa prévention. En témoignent la cohérence et l'importance des nombreuses thèses sur le sujet qu'il a dirigées à commencer par celle de la première de ses élèves, Sakina Imalayène, sur «Le goître endémique», suivie par la mienne, soutenue en décembre 1969, à propos de «L'hypothyroïdie congénitale». Ce furent ensuite les travaux du professeur Naïma Bachtarzi, notre regrettée collègue et amie. Je citerais aussi les thèses des professeurs Boudiba, Chaouki, Foudil, Kellou (épidémiologiste et directeur de l'Institut national de la santé publique) et, pour finir, l'étude du docteur Aouali menée jusqu'à la veille de la retraite. Il s'agit là d'un labeur de plus de trente ans pour une œuvre colossale ! L'adhésion de ses collaborateurs, le professeur Moulay Ben Mihoud l'obtenait non pas en inspirant la crainte mais par la force de l'exemple donné et la peur de décevoir le maître. Comment ne pas saluer aussi les retombées pratiques et d'utilité publique que fut l'entreprise d'éradication des troubles liés au déficit en iode : le goître endémique, bien sûr, et également les anomalies du développement cérébral du fœtus et du jeune enfant dont la forme extrême se traduit par le crétinisme endémique. L'introduction et la généralisation du sel iodé dans l'alimentation ont abouti à des résultats remarquables. Dès 1969, un décret du ministère de la Santé rendait obligatoire la vente de sel iodé dans les régions d'endémie goîtreuse d'abord. En 1990, cette injonction couvrait tout le territoire national, ce qui permit de constater, en 1995, que la couverture par une iodation correcte du sel concerne 92% de la population. L'expertise du professeur Moulay Ben Mihoud en la matière profita aussi à des pays d'Afrique où il fut envoyé en mission au titre de coordinateur régional. Membre d'une instance internationale, l'ICCIDD (International Council for the Control of Iodine Deficiency Disorders), il est associé à des grands noms de la thyroïdologie internationale comme John Stembury, présent à nos côtés à Alger lors du Congrès maghrébin de médecine où les communications que nous présentions bénéficiaient d'une traduction simultanée en anglais ! Je parle de l'année 1969. Plus tard, il collabora avec d'autres spécialistes connus, Dunon et Delange entre autres. Le professeur Moulay Ben Miloud, voué au service public, a également été un des principaux acteurs de la réforme des études médicales, plaidant pour que le système de formation soit remanié et davantage calqué sur le modèle anglo-saxon. C'est ainsi qu'il participe, en 1971, au projet initié par le ministère de l'Enseignement supérieur, dirigé à l'époque par Mohamed Seddik Benyahia. A partir de 1976, il fut détaché à la tête de l'Organisme national de la recherche scientifique (ONRS) mais il n'occupa que peu d'années le poste de directeur pour rapidement revenir au Centre Pierre et Marie Curie, dans son service. Le survol de la carrière du professeur Moulay Ben Miloud souligne l'ampleur, la diversité, la cohérence et l'utilité des activités menées à tous les postes de responsabilité qu'il a accepté d'assumer dans la réserve et la modestie. Il s'est éteint en avril dernier et repose à Tiout, dans la région de Aïn Sefra, berceau de la famille Ben Miloud. Je souhaiterais que cet hommage soit une invitation à méditer l'exemple de ce grand maître. Je souhaiterais que cet hommage représente le modeste témoignage de gratitude de tous ses disciples et l'humble gage de leur fidélité dans le souvenir.
Hommage rendu à l'occasion du 30e Congrès d'endocrinologie dédié au regretté maître