Invitée au défilé du 14 Juillet à Paris avec 80 nations ayant participé à la Première Guerre mondiale, l'Algérie enverra trois militaires sur les Champs-Elysées. Une présence qui soulève bien des questions sur les non-dits d'une histoire commune. Ce ne sont pas les supporters des Verts qui feront flotter une fois de plus le drapeau algérien sur les Champs-Elysées à Paris, mardi prochain, mais… trois militaires algériens. Lors du traditionnel défilé de la fête nationale française, le 14 Juillet, pendant la phase dite «de manœuvre», il est prévu que trois officiers de l'ANP passent devant la tribune présidentielle avec leur emblème national. En annonçant la présence de l'armée algérienne aux côtés de 80 autres pays invités ayant participé à la Première guerre mondiale, le secrétariat d'Etat français aux anciens combattants mené par Kader Arif a lancé la polémique de l'été. Côté français, la colère de l'extrême droite et des harkis ; côté algérien, les critiques de la famille révolutionnaire et la désapprobation des militaires. Contacté par El Watan Week-end pour confirmer la présence d'officiers algériens, le ministère de la Défense précise bien «que cette décision ne lui appartient pas, elle est du ressort de la Présidence». La Présidence n'a, quant à elle, souhaité ni confirmer ni infirmer ce que les Français disent tout haut : l'Algérie fera défiler ses militaires. Laurent Fabius, ministre des Affaires Etrangères français, l'a encore dit, courant juin, sur les chaînes télé et radio RMC/BFMTV en précisant : «D'ailleurs, je ne vois pas du tout ce que cela aurait de choquant puisque c'est la commémoration de tous les sacrifices qui ont été faits, et, évidemment, il y avait des Algériens.» Les chiffres officiels parlent de 173 000 combattants qui habitaient l'Algérie, sans distinction de confession, et de 23 000 tués. Une version de l'histoire qui, justement, fait frémir de nombreux Algériens et, parmi eux, des historiens et des spécialistes de la repentance qui rappellent qu'à l'époque, c'est par la force que les Algériens avaient été enrôlés dans la guerre. «Il est compliqué d'inviter une armée nationale sans reconnaître qu'il y a eu une inégalité de participation, relève Malika Rahal, historienne chargée de recherche à l'Institut d'histoire du temps présent (CNRS). Ce n'est pas comme si l'Algérie s'était engagée dans cette guerre en tant qu'Etat indépendant. En tout cas, il est difficile de rendre cette complexité par la mise en scène qu'est le défilé du 14 Juillet.» Mais on aurait pu imaginer une autre forme de participation avec, en amont, des discussions des deux côtés.» Citoyenneté Dans les faits, ce n'est pas la première fois que la France évoque la possibilité pour l'Algérie de participer à une commémoration commune. Jean-Pierre Dufau, député des Landes et rapporteur de la mission d'information sur l'Algérie menée par Axel Poniatowski, rappelle : «La mission dont j'ai été le rapporteur a toujours préconisé une approche des «petits pas» sur les questions sensibles. Elle avait recommandé ‘‘d'associer étroitement l'Algérie, si elle le souhaite, aux cycles commémoratifs des deux guerres mondiales du XXe siècle qui va avoir lieu tout au long de l'année 2014.'' Effectivement, la date du 14 juillet a été évoquée, même si la mission n'avait pas mandat de formuler une invitation. Depuis, une suite a été donnée par la France : dans le cadre de la commémoration du centenaire de la Grande guerre, elle a voulu associer l'ensemble des nations belligérantes, mais aussi les nations alors intégrées au contingent français, notamment algérienne, marocaine et tunisienne. Et pour promouvoir une vision apaisée de l'histoire et une mémoire partagée, la France a ainsi envoyé une invitation à l'Algérie ainsi qu'à 80 autres pays. L'Algérie a confirmé qu'elle serait présente, ce qui illustre nos bonnes relations bilatérales.» Ismaël Sélim Khaznadar, qui a dirigé l'ouvrage collectif Aspects de la repentance (éditions Barzakh), nuance. «Ce n'est pas encore le moment. Aucun travail mémoriel, historique de fond n'a été entrepris. Si cela avait été fait, alors défiler sur les Champs-Elysées aurait été le couronnement d'un travail d'apaisement. Mais ce n'est pas le cas.» Et d'ajouter : «Par ailleurs, de la célébration du débarquement, où la mention des forces maghrébines et africaines a été peu évoquée, est né un véritable sentiment d'injustice.» Un officier reconnaît : «C'est vrai, certains Algériens ne sont engagés avec la France de plein gré, comme l'émir Khaled, le petit-fils de l'émir Abdelkader, mais en espérant obtenir, après leur sacrifice, des droits, une citoyenneté. Si la France reconnaissait que la République après la Grande guerre n'a pas reconnu à juste titre le sacrifice des Algériens, alors oui, j'accepterais de défiler. Mais les Français ne peuvent pas garder de l'histoire uniquement ce qui les arrange.» Martyrs Mais faire table rase du passé et des dossiers qui constituent le fonds de commerce de l'extrême droite française, des harkis, des extrémistes pieds-noirs et d'une partie du pouvoir algérien fait inévitablement revenir à la guerre d'indépendance. Saïd Abadou, secrétaire général de l'Organisation nationale des Moudjahidine, l'a dit à sa manière, c'est-à-dire en réclamant à nouveau la repentance : «Il n'a jamais été question de présence de soldats algériens au défilé de la Fête nationale française. Le sujet ne doit même pas être abordé tant que le sujet de la criminalisation du colonialisme n'est pas réglé.» D'anciens militaires abordent la question de manière plus affective. «La blessure n'est pas guérie, regrette Abdelaziz Medjahed, général-major à la retraite. On ne comprend toujours pas pourquoi la France a demandé pardon pour les milliers de Juifs qu'elle a livrés à l'Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale et pas pour les 45 000 Algériens massacrés à Guelma. Nous aussi, à l'époque, nous étions français !». Le colonel à la retraite Benaâmar Bendjenna admet qu'il serait «gêné de participer à un tel défilé». «Mon père est un martyr. On ne peut pas écarter le fait qu'il reste des traces de cette armée coloniale.» Les contentieux historiques encore non réglés mis à part, le général à la retraite Mohand Tahar Yala, ex-candidat à la Présidentielle, avance un autre argument : «On a l'impression que de nombreuses décisions sur ce qui se passe en Algérie sont prises à l'extérieur, explique-t-il, en citant par exemple le dossier sur l'exploration du gaz de schiste dans le sud algérien accordée à la France. Et au moment où on se pose des questions sur notre souveraineté nationale, en tant qu'Algérien, je refuse d'être un sous-traitant et de faire allégeance au nouvel ordre mondial.»