Le Front de la justice et du développement fait partie de la Coordination pour les libertés et la transition démocratique (CLTD, appelée groupe des 5+1), dont les autorités, à la dernière minute, ont interdit la conférence. En réaction, la CLTD a organisé un sit-in hier à Alger. -Avant d'interdire la tenue de votre conférence, la wilaya d'Alger a demandé à la CLTD, en plus du dossier normal, de fournir une lettre explicative, ce qui est selon votre propre mot «illégal». Pourquoi se conformer à cette injonction dans la mesure où la Coordination a pour ambition de participer à l'édification d'un Etat de droit en Algérie ? Effectivement, la demande qui a été formulée par la wilaya est illégale. Nous avons choisi de nous y plier pour faciliter au maximum les démarches administratives et tenir coûte que coûte notre conférence, mais les autorités en ont décidé autrement. Aujourd'hui, notre stratégie est claire : appliquer les résolutions de la conférence du 10 juin dernier et mener des actions de terrain pour sensibiliser à l'idée de transition démocratique. -Quelle analyse faites-vous de la situation politique en Algérie aujourd'hui, en particulier celle de l'opposition ? La dernière élection présidentielle qui a vu le Président-candidat réélu a été entachée de multiples fraudes. Les interrogations quant à la capacité du président Bouteflika à assumer ses fonctions sont nombreuses. Il est important de faire un état des lieux des trois mandatures précédentes de ce Président : au total, ce sont 700 milliards de dollars qui ont été dépensés depuis son arrivée à la présidence, qui ne se reflètent pas dans le développement du pays. Au final, ces trois mandats se caractérisent par des échecs multiples, une mauvaise gestion chronique et une corruption généralisée. Pour ce qui est de l'opposition, celle-ci se construit progressivement, et a réussi à s'unir contre le quatrième mandat. Aujourd'hui, notre parti au sein de la CLTD défend l'idée de la transition démocratique. La transition ne viendra pas d'en haut, par le pouvoir, et on doit éviter qu'elle ne vienne d'en bas, une fois que le peuple sera exaspéré, ce qui laissera la porte ouverte aux débordements. Il faut trouver un juste milieu : c'est pour cela que nous négocions dans l'entre-deux, dans le cadre d'une transition qui réunisse tous les acteurs autour de la table des négociations. -Votre parti a refusé de participer aux consultations en vue de la révision constitutionnelle. Comment justifiez-vous votre participation aux législatives de 2012, verrouillées par le pouvoir, et votre refus aujourd'hui de ces consultations ? La loi 12-01 du Code électoral a été promulguée avant les législatives de 2012. Nous pensions qu'elle offrirait des garanties suffisantes de transparence. Malheureusement, il en a été autrement dans la réalité et cette élection a été entachée de fraude. Nous en avons pris acte et c'est pour cela que nous avons boycotté les élections locales qui ont suivi, ainsi que la Présidentielle, et aujourd'hui les consultations en vue de la révision constitutionnelle. Par ailleurs, nous avons formulé divers amendements à cette loi pour permettre l'installation d'une commission indépendante qui supervise les élections d'un bout à l'autre, mais ces amendements ont été refusés par le bureau de l'APN ! -Vous avez vous-même reconnu que suite à la fraude en 2012, «l'Assemblée ne jouit d'aucune légitimité et devait être dissoute». Pourquoi ne pas démissionner ? Je maintiens ces propos et continue d'affirmer que cette Assemblée est illégitime. Cependant, j'appartiens à un parti et nos instances dirigeantes ont pris la décision que nos élus continuent de siéger afin de pouvoir effectuer un travail pour changer les choses au sein même du Parlement, comme l'illustrent d'ailleurs les amendements successifs que nous proposons. -Comment la CLTD compte-t-elle instaurer un rapport de force avec le pouvoir politique pour faire valoir ses idées de liberté et de transition démocratique dans le cadre de la révision constitutionnelle ? Selon vous, quel rôle doit jouer l'armée dans la transition ? Dans un premier temps, nous comptons finaliser notre feuille de route que nous allons soumettre au pouvoir. Nous espérons que celui-ci saura nous écouter. Dans l'hypothèse inverse, nous nous réservons tous types d'actions pour faire valoir nos idées : conférences, meetings, marches, le tout dans un cadre pacifique. Nous n'hésiterons pas à en appeler au peuple pour sortir de cette crise. A titre personnel, j'estime que l'armée a un rôle crucial à jouer : il est impératif d'amorcer cette transition et d'aller vers le consensus national. C'est la clé de voûte d'une refondation du système politique. L'armée doit être la garante de cette transition ; elle doit cesser d'être l'armée du pouvoir pour devenir l'armée de l'Etat. -Comment expliquez-vous que des partis aux projets politiques et sociétaux aussi différents que ceux du FJD et du RCD, par exemple, coexistent dans une même coordination? Notre alliance avec le RCD, comme avec d'autres partis de la coordination, est une alliance qui s'est faite loin des programmes politiques de chacun et des calculs électoralistes. Cette alliance n'est dictée que par l'intérêt général. Nous partageons tous le constat de la faillite du système actuel et du remède à y apporter : la transition démocratique. Une fois cette transition amorcée, la compétition électorale permettra à chacun de faire valoir son programme. Mais, pour l'instant, le climat politique impose une démarche d'union de toutes les forces qui estiment que le système doit changer. -Comment avez-vous réagi aux récentes déclarations de Mohamed Aïssa, ministre des Affaires religieuses et des Wakfs, notamment vis-à-vis du jeûne et de la liberté de culte ? Quels devraient être pour vous les rapports entre libertés individuelles et religion ? Ces déclarations ne font que nourrir les polémiques et diviser les Algériens, alors que nous avons besoin plus que tout d'union nationale. Le ministre ferait mieux de s'intéresser à la corruption qui gangrène son ministère et à des scandales comme celui des couffins de Ramadhan qui, bien qu'ils ne relèvent pas de son portefeuille, ont une forte portée religieuse. Nous défendons aujourd'hui les libertés collectives, sans oublier pour autant l'identité musulmane de l'Algérie et sans aller contre les idées du peuple. -Cela signifie-t-il que vous défendez les libertés collectives au détriment des libertés individuelles ? Non, mais nous tenons à affirmer l'importance de l'islam. Comme le dispose l'article 2 de la Constitution, l'islam est religion d'Etat, et il nous apparaît primordial de préserver cela.