Le flux des milliers d'étrangers quittant la Libye ces derniers jours par les frontières terrestres avec la Tunisie et l'Egypte traduit la peur de ce chaos généralisé qui s'est installé progressivement dans le pays, Pourtant, les affrontements armés sont locaux, aussi bien à Tripoli qu'à Benghazi, Que se passe-t-il vraiment en Libye ? Tunis De notre correspondant La succession des événements en Libye montre que les structures de l'Etat n'ont pas repris leur efficacité depuis la destitution de Ali Zeidan, le 11 mars 2014. «C'était l'amorce de la dissociation de l'alliance entre l'axe de Misrata et celui de Zentane qui a gouverné depuis la chute d'El Gueddafi», explique Ahmed Drid, doyen de la faculté de droit de Ghariane. Depuis cette date, le pouvoir en Libye est entré en phase d'extrême tension. Le congrès national général n'a pas pu installer un remplaçant à Zeidan. L'intérimaire Abdallah Thaneï, ministre de la Défense de Zeidan, est toujours en poste ainsi que tous les autres ministres. La Loi des finances 2014 n'a été votée qu'à la mi-juin 2014 et l'activité pétrolière ne se poursuit que sur les champs off-shore. La Libye est au bord du chaos malgré la tenue des élections du 25 juin 2014. Parallèlement à ces tiraillements politiques, les affrontements militaires ont commencé avec le lancement de la campagne du général Khalifa Haftar, en mai dernier, contre Ansar Chariaâ. Khalifa Haftar a été soutenu par les forces du ministère de l'Intérieur, installées à Benghazi (les troupes de la Saëka). En face, les forces du bouclier de l'Est de la Libye, relevant du ministère de la Défense, ont soutenu les extrémistes religieux. Les affrontements armés n'ont été enregistrés à l'ouest qu'à partir du 13 juillet avec la bataille autour de l'aéroport de Tripoli. Les forces du bouclier du centre (Misrata) affrontent les régiments El Kaâkaâ et Saouek (Zentane). «La tension ne cesse de monter depuis des mois, sans qu'il n'y ait de véritable guerre ouverte et généralisée sur le terrain», remarque Ahmed Fitouri, le directeur de l'hebdomadaire Mayadine. Les observateurs ne cessent de s'interroger sur les perspectives de cette spirale. Troublantes révélations De simples phrases aident, parfois, plus que les analyses des experts à comprendre une situation complexe comme celle traversée par la Libye en ce moment. Celles d'un proche d'un chef de guerre de Misrata sont, à ce propos, très édifiantes sur ce qui s'y passe. Et, surtout, ce qui risque de s'y produire durant les prochains jours. Concernant l'issue de la guerre, il a dit : «Nous n'avons pas encore mis toutes nos forces dans la bataille. Nous attendons que les étrangers partent et que le pays se vide des journalistes pour faire notre assaut final. Nous avons sous nos ordres 63 000 hommes. Le Qatar et la Turquie nous ont envoyé des quantités énormes d'armes et de munitions à travers les aéroports de Syrte et de Misrata. Nous sommes en train de les essayer et de nous entraîner à leur utilisation dans la vallée de Syrte». Pour ce qui est de l'affrontement avec l'autre clan, ce «combattant» de Misrata explique : «Il n'y a que le sang pour mettre fin à cette guerre contre les vestiges d'El Gueddafi. Les milices prétendues de Zentane (Kaâkaâ et Saouek) ne sont qu'une renaissance «révolutionnaire» du régiment 32 renforcé qui était dirigé par Khamis El Gueddafi. Il faut les exterminer». Il n'y a pas plus clair que cela concernant les plans de Misrata. La raison a, jusque-là, empêché une telle option. Serait-ce encore possible ? Dans tous les cas, il faudrait visiblement se préparer au pire. Immobilisme international Face à une telle tension et un éventuel dessein affreux de l'avenir libyen, la situation internationale est caractérisée par l'immobilisme, comme l'indiquent les propos de l'ancien Secrétaire général de la Ligue arabe, Amr Moussa, qui a parlé, pas plus tard qu'hier, de «la nécessité de mobiliser le soutien international si jamais l'intervention en Libye deviendrait inévitable». Une telle mission nécessiterait des mois pour être mise sur pied car elle a besoin de décisions qui ne viennent jamais à temps car il n'y a pas de volonté internationale pour y parvenir. La dernière réunion «urgente» des ministres des Affaires étrangères des pays arabes, tenue au Caire le 14 juillet, n'a abouti, elle aussi, à aucune mesure concrète. La réunion tenue à Tunis, les 13 et 14 juillet, des ministres des Affaires étrangères des pays limitrophes de la Libye, court-circuitée par celle des ministres des Affaires étrangères arabes, n'avait pas pu, non plus, prendre de décisions importantes en raison de l'absence du ministre libyen, empêché de se déplacer après la fermeture de l'aéroport de Tripoli. Pour leur part, les principales missions diplomatiques accréditées à Tripoli (USA, France, Allemagne, Italie et Grande-Bretagne) se sont contentées de publier une déclaration commune, le 22 juillet dernier, pour «exprimer leur soutien à la transition démocratique», «saluer la proclamation des résultats des élections de la Chambre des députés» et «appeler à un dialogue national libyen sans exclusion et un gouvernement d'union nationale». La communauté internationale tourne en rond concernant cet épineux dossier. Le dialogue national est au point mort depuis des mois. La Chambre des députés, qui va être installée aujourd'hui à Toubrouk, n'a aucune autorité réelle. Mais toutes les missions de réconciliation, locales et internationales, n'ont pas abouti. Se dirige-t-on, peu à peu, vers une guerre sans merci ? Les Libyens prient très fort pour que cela ne soit pas le cas.