-Le président Porochenko a déclaré, le 26 juillet dernier, que «l'Ukraine n'est pas le théâtre d'une guerre civile mais affronte des mercenaires étrangers» dans l'est de son territoire. Est-ce à dire qu'il considère désormais les négociations avec les insurgés pro-russes comme étant un dossier clos ? Je n'aurais pas posé cette question de façon si directe. Le président de l'Ukraine et le gouvernement prennent toutes les mesures possibles pour le règlement pacifique du conflit et pour un cessez-le-feu, mais seulement sur une base bilatérale. Actuellement, Kiev élabore un plan de cessez-le-feu bilatéral. Toutefois, il convient de noter que, malheureusement, une solution positive à la crise ne dépend pas seulement de la bonne volonté des autorités ukrainiennes. Le dernier cessez-le-feu, qui a eu lieu durant la fin du mois de juin, a été violé presque tous les jours par les groupes armés illégaux opérant dans l'Est de l'Ukraine. En général, la partie ukrainienne compte résoudre sérieusement la crise. Ce règlement nécessite toutefois un important soutien international. Le monde doit comprendre que maintenant l'humanité fait peut-être face à la plus grande menace depuis la crise des missiles de Cuba. -Qui alimente, selon vous, la crise dans l'Est de l'Ukraine ? L'acheminement illégal d'armes par la Fédération de Russie sur le territoire ukrainien, l'envoi de mercenaires russes et de membres des forces armées russes dans le but de participer à des opérations militaires contre l'Ukraine est un acte d'agression contre l'Ukraine. C'est un acte qui a toutes les caractéristiques du terrorisme international. Le soutien de combattants par la Fédération de Russie n'est plus une menace que pour les citoyens ukrainiens mais pour les citoyens des autres pays et pour le monde entier. Il est à noter que, même après le crash d'un avion de ligne malaysien sur notre territoire, la Russie n'a cessé de déstabiliser la situation dans l'Est de l'Ukraine. Malgré cette terrible tragédie, il n'y a pas eu une seule journée, une seule nuit sans que l'armement russe n'arrive en Ukraine. Les terroristes ouvrent le feu sur les positions de l'armée ukrainienne afin de couvrir les colonnes d'armement russe qui traversent la frontière. La Russie continue de masser des troupes près de la frontière ukrainienne. Les bateaux de missiles russes commencent à miner le fond marin ukrainien dans la mer d'Azov, etc. -La population russophone de l'Est de l'Ukraine est toutefois inquiète concernant son avenir. Elle s'estime spoliée de ses droits. Qu'est-il de prévu pour éviter justement une fracture dans la société ukrainienne ? Le président Petro Porochenko a présenté un plan en quinze points en vue d'une résolution pacifique de la situation dans l'Est de l'Ukraine. Ce plan est de nature à préserver la souveraineté, l'intégrité territoriale et l'unité nationale de l'Ukraine. Il prévoit, en outre, une amnistie pour les personnes qui déposeront les armes et qui n'auront pas commis de délits graves, l'ouverture de couloirs sécurisés pour permettre le retrait des mercenaires russes et le lancement d'un dialogue ouvert. En plus de cela, le gouvernement ukrainien lance un processus de préparation d'une réforme constitutionnelle prévoyant une décentralisation progressive afin de transférer des compétences du pouvoir central vers les administrations régionales et municipales. Cette réforme assurera le développement de la société civile pour parvenir à une démocratie vraiment participative qui assurera la promotion et la protection des droits de l'homme et garantira la justice et la bonne gouvernance pour tous les habitants de toutes les régions du pays. Ce sont là les exigences pas seulement de la population de l'Est de l'Ukraine mais de tout le peuple ukrainien. -Qu'en est-il du contentieux gazier qui oppose la Russie à l'Ukraine ? Il est nécessaire de souligner que la Russie, dès l'indépendance de l'Ukraine, a utilisé ses relations économiques et commerciales comme un moyen de pression sur notre pouvoir. C'est par le biais des livraisons d'hydrocarbures que se faisait le chantage le plus effectif. Actuellement, la Russie joue sur les nerfs pour pousser l'Ukraine et l'Union européenne à faire plus de compromis concernant la crise ukrainienne. Bien sûr, le contentieux principal pour le moment porte sur le prix du gaz fourni par la Russie. Les 1000 mètres cubes de gaz sont passés de 268 dollars (198 euros) à 485 dollars (358 euros), un prix sans équivalent en Europe. Dans ce cas, le prix joue le rôle d'instrument de pression et n'a rien à voir avec le commerce. L'Ukraine est prête à une coupure de gaz. La situation n'est pas critique. Le pays a rempli au maximum ses réserves ces dernières semaines. Nous avons des stocks de plus de 13 milliards de mètres cubes. Cela dit, la partie ukrainienne est disposée à poursuivre les négociations entre Naftogaz et Gazprom (fournisseur de gaz russe) de manière constructive. Les négociations doivent être basées sur des critères économiques et non politiques. -Dans ce contexte, comment voyez-vous l'évolution des relations entre l'Ukraine et la Russie ? Le développement des relations avec la Fédération de Russie est assez difficile à prévoir. L'évolution ou la dégradation de ces dernières dépend de la disposition de Moscou à arrêter son approvisionnement en armes et en hommes l'Est de l'Ukraine et ainsi qu'à trouver une issue pacifique à la crise. L'Ukraine a toujours plaidé pour des relations d'égal à égal, de partenariat et de bon voisinage avec la Fédération de Russie.