Le dernier rapport sur la situation des droits de l'homme en Algérie de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l'homme (CNCPPDH, officielle), dirigée par Farouk Ksentini, prétend que «95% des objectifs ont été atteints à la faveur de la charte pour la paix et la réconciliation nationale». La signification de ce chiffre reste cependant obscure. Pour l'avocat Amine Sidhoum, spécialiste des questions relatives au terrorisme et les droits de l'homme, «ce chiffre est un véritable non-sens. La charte a été imposée unilatéralement par le gouvernement sans qu'un véritable débat ne soit entamé. Elle sert surtout de maquillage à destination de l'opinion internationale.» La question des disparus reste occultée : leur nombre lors de la décennie noire est officiellement de 8023, et de 20 000 selon les ONG internationales. Pour Nassera Dutour, présidente de l'association SOS Disparus, «il est honteux de parler de 95% d'objectifs atteints alors que la question des disparus reste encore en suspens. Aujourd'hui, les autorités refusent d'accéder à notre principale revendication : la quête de la vérité. Nous sommes des milliers de mères à ne pas savoir ce qu'il est advenu de nos enfants. S'ils sont morts, qu'on nous rende leurs corps pour faire notre deuil.» Si la charte prévoit l'indemnisation des familles des victimes, elle nécessite pour cela qu'un acte de décès soit émis par un tribunal, ce à quoi se refusent les familles des victimes tant qu'elles n'obtiennent pas la vérité sur le sort de leurs proches. En effet, d'après SOS Disparus, au moins 1200 familles auraient refusé ce compromis avec les autorités. «Sur la réconciliation nationale, les autorités peuvent prétendre avoir atteint les objectifs qu'elles annoncent, cela n'a pas de sens», affirme Chérifa Kheddar, présidente de l'association des victimes du terrorisme, Djazaïrouna. Et d'ajouter : «Il n'existe aucun bilan chiffré des résultats de la charte, à la fois sur le nombre de personnes qui ont bénéficié de l'amnistie et surtout sur l'enveloppe financière qui leur a été accordée. Sans base de travail sérieuse, ce chiffre de 95% ne veut rien dire.» Ce doute sur le sens du chiffre avancé par la commission est partagé par Mouloud Boumghar, professeur de droit public à l'université de Picardie. «Le seul sens possible de ce chiffre avancé par la commission serait que 95% des familles de disparus aient accepté les indemnisations. Or, cela ne signifie pas qu'elles ont renoncé à connaître la vérité sur le sort de leurs enfants, ni qu'elles ont renoncé à la justice. De manière plus générale, il est impossible de parler de 95% d'objectifs atteints puisqu'aucune des causes politiques à l'origine de la guerre civile n'a été réglée», précise-t-il. Farouk Ksentini, président de la CNCPPDH, lui, insiste : «La réconciliation nationale est une réussite. On peut affirmer que 95% des objectifs ont été atteints, puisque près de 7000 terroristes ont déposé les armes et qu'au moins 1 milliard de dollars a été accordé au titre d'indemnisations diverses pour les familles de disparus et les victimes de la tragédie nationale. Les 5% manquants sont l'expression du terrorisme résiduel qui subsiste encore dans notre pays.» Maître Ksentini adresse une fin de non-recevoir aux associations de victimes qui plaident toujours pour obtenir la possibilité de présenter leurs cas divers devant la justice : «Nous devons tourner cette page sombre de notre histoire. Parfois, la raison d'Etat doit prendre le pas sur la justice due à tout un chacun», a-t-il déclaré à El Watan Week-end.