Les experts français affirment que l'une des deux boîtes noires n'a pu être décryptée en raison d'un dysfonctionnement non lié au crash. Une telle affirmation suppose que l'enregistreur de voix était en panne, alors qu'aucun commandant de bord ne peut prendre son envol si cet appareil ne fonctionne pas. Les experts du Bureau d'expertises et analyses (BEA), auquel a été confiée l'enquête technique sur le crash du vol AH5017 reliant Ouagadougou à Alger, n'ont finalement pas pu décrypter la plus importante des deux boîtes noires, la CVR, qui contient l'enregistrement phonique du cockpit (Cockpit Voice Recorder). Les enquêteurs se sont limités à l'exploitation de certains paramètres de vol issus du Flight Data Recorder (FDR) «pour restituer une première image de la trajectoire de l'avion», précisant que «d'autres paramètres doivent encore faire l'objet de validation et des calculs complémentaires devront être effectués en utilisant un modèle de comportement et de performance de l'avion et de ses moteurs pour préciser le scénario de l'événement, notamment en ce qui concerne la fin du vol». Lors de la conférence de presse animée jeudi dernier, le responsable du BEA a clairement indiqué que la bande magnétique de l'enregistreur phonique CVR, qui était endommagée, «a pu être remise en état et lue». Malheureusement, a-t-il souligné, «les enregistrements qu'elle contenait se révèlent inexploitables, en raison, vraisemblablement, d'un défaut de fonctionnement de l'enregistreur sans lien avec les dommages résultant de l'accident». Une affirmation importante qui sous-entend clairement qu'une défaillance technique a pu mettre hors service l'enregistreur des conversations dans le cockpit. Ceci constituerait une grave anomalie dans la mesure où un tel dysfonctionnement ne permet pas à l'avion de voler. «Les boutons de mise en marche de cet appareil (CVR, ndlr) sont parmi les premiers que le commandant de bord actionne pour un essai. En cas de dysfonctionnement, l'appareil reste cloué au sol. Il ne peut pas avoir l'autorisation de voler. Comment a-t-il pu décoller sans CVR ? Il est très difficile de croire à une telle anomalie», explique un ancien commandant de bord, ayant déjà assuré, durant des années, des vols vers la région subsaharienne. Notre interlocuteur se dit «sceptique» quant à une telle erreur «parce qu'aucun pilote au monde ne peut prendre la responsabilité de voler avec une telle défaillance». Selon lui, «les boîtes noires sont faites pour conserver les données du vol et les conversations, même dans les conditions les plus extrêmes. Comment se fait-il que le BEA déclare la bande inexploitable ?» En effet, le communiqué du BEA précise que «des réflexions se poursuivent pour tenter de trouver un moyen d'en extraire quelques informations». Cependant, il laisse croire que les chances d'arriver à un résultat restent minimes. «Il n'est pas possible de présager du résultat de cette démarche. L'absence de données exploitables sur le CVR à ce jour rend prioritaire la collecte de toutes les données sur les communications que l'équipage a pu établir avec des organismes au sol ou avec d'autres avions.» Chute brutale de l'appareil Une démarche que nos interlocuteurs trouvent «étonnante». «Lorsqu'il y a un crash, la première des mesures à prendre est justement de recueillir tous les enregistrements des communications entre les cockpits des avions qui volaient dans la zone et les tours de contrôle. Pourquoi ne l'avoir pas fait tout de suite ? Les données risquent d'être effacées», révèlent nos sources. En tout état de cause, le bureau français d'enquête a fait état d'une première reconstitution du vol depuis son décollage de Ouagadougou jusqu'à son crash à Gossi, au nord du Mali. «La trajectoire de l'avion telle qu'elle a pu être restituée à partir des paramètres de vol enregistrés sur le FDR, superposée avec une image satellite des masses orageuses présentes le jour de l'accident, fait apparaître une montée et un début de croisière normal, avec des changements de route modérés, typiques d'une stratégie d'évitement des développements orageux. L'avion décolle de Ouagadougou à 1h15. Il monte et atteint le niveau de vol 310 à 1h37. Au niveau de vol 310, l'avion s'établit en croisière à une vitesse d'environ 280 kts. Environ deux minutes après le début de la croisière, tout en restant au niveau 310, la vitesse diminue progressivement. L'appareil se met progressivement à descendre et la vitesse continue de diminuer jusqu'à 160 kts environ.» En clair, les experts français expliquent le crash par une chute brutale de l'appareil au moment où il tentait de contourner un immense cumulonimbus, c'est-à-dire un vaste orage. Après avoir décollé de Ouagadougou, il a gagné normalement son altitude et sa vitesse de croisière avant de se mettre à louvoyer. Le commandant de bord dévie et prend de l'altitude pour éviter une cellule orageuse. Mais la situation se complique. L'appareil commence alors à perdre de la vitesse puis de l'altitude avec de forts changements dans le taux de roulis et l'assiette. A 1h45, l'avion est à 9500 mètres d'altitude et à 650 km/h. Il tente peu après un virage à gauche et décroche pour tomber. La vitesse descendante est importante. A 1h47min15s, dernier point enregistré : le vol n'est plus qu'à 490 mètres d'altitude et à 740 km/h. Une seconde plus tard, il s'est écrasé. Le directeur du BEA, Rémy Jouty, note cependant : «Il faut maintenant que les équipes d'enquêteurs travaillent, notamment avec les hommes du constructeur McDonell-Douglas, pour simuler le comportement de l'avion.» Il se garde de toute conclusion, privilégiant la piste «d'un accident lié aux conditions météo», écartant totalement «la désintégration de l'appareil en vol». Les premières conclusions du BEA n'ont malheureusement pas réussi à expliquer les circonstances de ce crash.