La coopérative Tahat de Batna qui se produisait durant la seconde journée du festival aura donné un spectacle de toute beauté. En effet, le metteur en scène des « 100 abris », Chouki Bouzid, aura privilégié une écriture scénique de grande qualité. S'appuyant sur un faux goual qui au lieu d'accompagner le spectateur comme il est de coutume s'évertuera à n'être qu'un simple porte-voix, Chouki Bouzid dont le rôle consistait à doubler un subtil poème qu'une voix « off » débitait tout au long du spectacle. Un texte d'une rare densité dramaturgique qui donnera au spectacle une profondeur hiératique incontestable. D'autant que la pièce se jouait sur de simples mimiques et autres onomatopées. Un défi face à un public peu habitué à l'absence de dialogues et d'échange. Aucune réplique, pas la moindre tirade, seulement une succession de situations, par ailleurs, parfaitement agrémentée par une chorégraphie de toute splendeur. Il est vrai que l'apport de Slimane Habès aura été déterminant dans la réussite de ce spectacle, dont les principaux acteurs ne sont que le pur produit de l'amateurisme le plus primaire. A l'image de la toute frêle collégienne Zahra-Manal Doumandji ou de sa complice Ibtissam Ouazen, dont c'est la toute première représentation. Car la pièce à l'origine avait été produite dans la cadre de l'année de l'Algérie et les comédiens avaient fait le choix de ne pas retourner au pays. Ce qui obligera les responsables de la troupe à procéder à un nouveau et salvateur recrutement. Cette seconde génération n'aura aucunement démérité surtout lorsque l'on apprendra que le montage de la pièce n'aura duré que quatre mois. Abordant la terrible déchéance des sans-abri, l'auteur fera appel à un décor totalement dépouillé. Seul le conteur et un tambourineur occuperont concomitamment ou alternativement le fond de la scène. Sur laquelle les déracinés viendront faire étalage de leur lente et inexorable décadence. Ne reculant devant aucune forme de déchéance, le réalisateur fera passer ces infrahumains d'une situation critique à un état de total déshumanisation. Les corps semblent totalement vidés de toute forme de résistance physique ou intellectuelle. Par moments, ils sont réduits à l'état de primates primitifs, ne communiquant que par quelques gestes. La descente aux enfers est évidente à tel point qu'à un moment, ces loques n'émettent plus que quelques pulsions. Seulement des souffles stéréotypés dont on ne sait s'ils expriment du plaisir ou de la souffrance. A un moment, on assiste à un véritable dressage d'animaux que seul le rire — repris en boucle par l'ensemble du groupe — permet de les relier encore à l'espèce humaine. L'incursion d'un bourgeois, qui n'est en fait que le système exploiteur, leur jetant un bout de pain est une occasion unique de révolte collective. Cette scène suggère que malgré l'état de déliquescence avancé, lorsque l'homme est agressé dans son amour propre, il réagit avec violence. Qui est dans ce cas de dépendance, puérile. L'affameur ne s'y est pas trompé, puisqu'il continue à narguer ces créatures, sachant pertinemment que leurs cris de révolte n'auront aucune conséquence : ni sur l'état des choses ni sur le système hiérarchique imposé. Ne laissant aucune part à l'optimisme qui est le propre de l'homme. Dommage pour l'écriture, quant au reste, notamment les complaintes ainsi que la berceuse — Gouga memmi, très célèbre dans les Aurès —, interprétées en « live » de surcroît, après les ovations, il va sans dire qu'elles méritent amplement une édition.