Djoher Amhis-Ouksel a consacré son sixième livre(1) à la lecture de l'œuvre de Tahar Djaout. Un voyage lumineux qui donne, aux fragments choisis de l'œuvre romanesque ou lyrique de Tahar Djaout, les contours inévitables et détermine, d'une part, les caractères propres, et de l'autre les traits qui relèvent de l'époque de l'écrivain martyr, assassiné par les hordes obscurantistes le 26 mai 1993. Le romancier et poète a toujours approché dans ses livres des types individuels aux qualités personnelles très remarquables qui surent sauvegarder toute leur tendre affection pour leur milieu natal, leurs familles et leurs traditions. Tahar Djaout nous démontre brillamment la façon dont ces gens savent vivre modestement, travailler et supporter un destin malaisé, sans cependant « se laisser faire» quand «la corde est coupée» (p.16) : «J'étais une corde interminable. J'avais ma continuité. Je connaissais tous mes ancêtres. Les représentants sont venus. Ils ont coupé la corde au milieu» (L'Exproprié). D'une manière identique, Tahar Djaout dépeint des personnes malheureuses, passant leur temps à souffrir, sans perspectives optimistes, enserrées dans des situations sans issues, mais sachant (quand il le fallait) prendre leur part de bonheur d'un fait minime. Il nous étale une mosaïque bariolée d'aventures et de destins de gens simples, tous marqués par leur passé et forcés de se démener dans la vie. En décortiquant les vicissitudes de L'Exproprié, Djoher Amhis-Ouksel écrit : «Ce train de l'errance, en mouvement, instable est prétexte pour l'auteur qui exprime sa contestation contre l'arbitraire et la relativité des jugements, contre le discours du dominant» (p.16). En fait, Tahar Djaout s'est attelé, dans la majorité de ses romans, d'une manière originale, tant par sa vision que par sa méthode d'écriture. Djoher Amhis-Ouksel remarque que le personnage de Mahfoud Lemdjad des Vigiles est un exemple de ces «héros contestataires» que Tahar Djaout a toujours sublimés dans ses livres : «Mahfoud Lemdjad se sent tout à coup en train de perdre son statut privilégié. Il redevient un citoyen anonyme, c'est-à-dire passible de tous les arbitraires, en face de deux policiers tout puissants dans un commissariat. L'appréhension commence à le gagner, le doute s'insinue en lui : il n'aura pas son passeport» (p. 156). Quand Djoher Amhis-Ouksel aborde les nouvelles de Tahar Djaout, elle écrit : «Il évoque souvent les moments de son enfance, heureux ou malheureux au milieu d'une nature qu'il s'approprie totalement comme un territoire inaliénable. Chaque fois que l'enfant, puis l'adolescent et l'adulte sont confrontés à la violence, ils évoquent des tranches de vie au milieu d'une nature qui leur apporte poésie et sensations» (p.221). Poète, Tahar Djaout représente un effort très original dans le courant lyrique algérien pour aller «jusqu'à la moelle» dans son examen de la personnalité humaine et d'élaborer ainsi une anatomie de l'âme. Le ressort de sa poésie tient plus précisément dans un combat entre l'esprit et le caractère illusoire de tous les aspects de la réalité humaine. Aussi expose-t-il à dessein la naïveté de l'amour, le considérant comme une désillusion, et la cécité de l'histoire qu'il comprend comme une part de l'effort de gens qui agissent sans foi ni loi. A vrai dire, les forces opposées de l'ivresse et de la lucidité, de l'action et de ses conséquences ne constituent pas le contraste de sa poésie mais en forment plutôt le contrepoint : derrière l'antithèse de l'illusion de l'action et de la pensée, reste «la base continue de l'existence», donc l'inéluctable prise de conscience de ces contrastes et la nécessité de bâtir sur eux un projet humain. Un immense projet !
1) Tahar Djaout, Ce tisseur de lumière.Casbah-Editions -248 pages – Collection «Empreintes». Alger 2014 2) Ce livre pourrait très bien intéresser les étudiants en littérature.