La secrétaire d'Etat américaine a surpris tout son monde en faisant escale, à Beyrouth mais aussi en signalant «l'urgence» d'une trêve. Nonobstant ce que sera la suite des évènements il y a un constat à faire: Israël a échoué à faire plier le Hezbollah, encore moins à le briser comme le proclamaient pas plus tard que dimanche les principaux responsables israéliens. L'élément nouveau intervenu hier est incontestablement l'appel à un cessez-le-feu «urgent» fait par la chef de la diplomatie américaine, Condoleezza Rice. Celle-ci qui s'exprimait devant des journalistes, dans l'avion qui l'amenait au Proche-Orient, avait déclaré «Nous pensons qu'un cessez-le-feu est urgent» faisant ainsi un revirement à 180° par rapport à la position qu'elle défendait vingt-quatre heures plus tôt, selon laquelle une trêve n'était pas d'actualité. Entendre par là que les objectifs qu'Israël s'était assignés en attaquant le Liban n'étaient pas encore atteints. Faut-il aussi relever que l'appel de Mme Rice intervient au moment où Israël, malgré la destruction du Liban, ne parvenait pas à ses objectifs affichés, la neutralisation du Hezbollah. De fait, l'armée terrestre israélienne qui a franchi les frontières du Liban samedi, éprouve beaucoup de difficultés face à la résistance inattendue que lui opposent les milices du Hezbollah. Et cela est nouveau. Mais la question qui se pose de fait est qu'est-ce qui s'est passé entre dimanche et lundi qui a fait changer de position la première puissance mondiale laquelle s'est, toutefois, gardée de dénoncer la démesure israélienne dans la destruction du Liban, dévastation qui a horrifié le représentant de l'ONU, Jan Egeland, qui a estimé qu'Israël violait les droits internationaux et humanitaires au Liban. Cela n'explique pas cependant le pourquoi d'un changement de position et d'itinéraire au moment où la secrétaire d'Etat américaine était attendue hier en Israël alors que l'étape de Beyrouth ne figurait pas à son programme, et cette omission n'avait ni des raisons protocolaires ni prétextes sécuritaires. Mme Rice qui signalait donc «l'urgence» d'une trêve au Liban a dans le même temps réitéré qu'«il est important d'avoir les conditions pour qu'il (le cessez-le-feu) soit viable» insistant sur le fait que tout accord doit prévoir qu'il n'y a pas de place pour «les groupes terroristes, les groupes non autorisés capables d'utiliser le territoire du Liban puis de lancer des activités illégales et ensuite de plonger le Liban et la région dans la guerre». Dans tout cela où est la responsabilité propre d'Israël dans les évènements qui plongent le Liban et les territoires palestiniens dans l'horreur et le deuil ? Alors que Washington escomptait la neutralisation du Hezbollah, notamment, non seulement les forces de celui-ci restent intactes et ses milices tiennent tête à la plus forte armée de la région, ce sont les civils au Liban et dans les territoires palestiniens qui sont victimes des raids de l'aviation et de la marine israéliennes. L'autre paradoxe est lorsque un haut responsable américain, sous couvert de l'anonymat, expliquait hier à la presse que la présence de Mme Rice à Beyrouth constitue «une importante démonstration de soutien aux Libanais et au gouvernement Siniora» et d'ajouter: «Le fait que nous allions à Beyrouth même après tout ce qui s'est passé, constitue un message spectaculaire pour le Liban et son gouvernement». On peut facilement prendre cette sortie du responsable américain pour du cynisme de mauvais goût alors même que, au moment où Mme Rice se trouvait dans la capitale libanaise, les bombardements dévastateurs israéliens se poursuivaient au Liban contre ses infrastructures vitales, économiques notamment. Comme les regrets de la secrétaire d'Etat américaine, qui viennent un peu tard, lorsqu'elle a affirmé hier à Beyrouth «Je suis profondément préoccupée par la situation du peuple libanais et ce qu'il subit. Et je suis, évidemment, inquiète de la situation humanitaire» après avoir rencontré le président du Parlement libanais, Nabih Berri. Il n'y a pas que Washington qui semble réévaluer sa position sur le conflit en cours au Liban, mais aussi les responsables israéliens qui semblent revenir de leurs certitudes pour qui le démantèlement du Hezbollah serait une simple question de jours. Or, lors de toutes les guerres qui ont opposé Israël à ses voisins arabes les (courtes) durées du conflit ont joué un rôle clé dans les succès d'Israël, incapable malgré sa supériorité militaire de tenir une guerre étalée dans le temps. Cela s'est vérifié en 1973 -il fallut des menaces américaines claires pour faire reculer l'armée égyptienne- et a tendance à se répéter dans cette guerre qui oppose Israël non pas aux armées arabes mais à des résistants arabes qui, avec des moyens souvent artisanaux, tiennent tête à l'armée israélienne pourtant dotée de l'armement le plus sophistiqué existant dans le monde y compris les fameuses bombes à guidage laser américaines, généreusement livrées par les Etats-Unis à Tsahal. Ainsi, hier les responsables israéliens donnaient l'impression de réviser à la baisse leurs ambitions au Liban -son échec notamment à détruire le Hezbollah- et semblent prêts à étudier un éventuel positionnement d'une force internationale aux frontières entre les deux pays. Le Premier ministre israélien Ehud Olmert s'est dit favorable dimanche au déploiement au Sud-Liban d'une force «formée par des pays de l'Union européenne» pour contrôler la frontière avec Israël et «désarmer le Hezbollah». «Désarmer» le Hezbollah était l'objectif premier d'Israël lorsqu'il attaqua le Liban, mais une force internationale peut-elle avoir pour (seule) mission de neutraliser le mouvement islamiste libanais alors que le contentieux est ailleurs, notamment dans l'occupation de parties ou tout des territoires palestiniens, libanais et syriens? Reste aussi l'avis du Liban qui, pour le moment ne veut entendre parler que d'une force supervisée par les Nations unies quand Israël et les Etats-Unis pensent plutôt à une force de stabilité placée sous l'égide de l'Otan. Ce qui donnera à la problématique proche-orientale une toute autre portée dans la mesure où l'Otan dominée par les Etats-Unis sera perçue plus comme une force d'appoint à Israël qu'une force capable d'instaurer une paix véritable, car on voit mal l'Otan agir avec vigueur contre les incursions d'Israël dans les territoires arabes occupés, ce qu'en fait Israël semble attendre de l'Otan c'est contenir et neutraliser les mouvements de résistance arabes. Ce qui pourrait expliquer, en partie, le subit revirement américain et israélien pour faire accepter aux Arabes l'implantation de l'Otan dans le territoire libanais. Mais on n'a toujours pas évoqué une force de stabilité dans les territoires palestiniens qu'occupe Israël. N'est-ce pas curieux?