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Loi de finances 2015 : Des paroles et des actes
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Publié dans El Watan le 14 - 11 - 2014

Le Conseil de la nation a adopté, mercredi, le projet de loi de finances 2015. L'occasion pour El Watan Week-end de se plonger dans les incongruités du premier budget du quatrième mandat.
C'était en juin dernier. Dans un hémicycle plein à craquer, les députés adoptaient le plan d'action du gouvernement Sellal après trois jours de débat sur les orientations stratégiques à adopter. En plénière, le Premier ministre promettait que l'agriculture, l'industrie, l'énergie et le tourisme seraient les fers de lance de la relance économique. Puis vint l'élaboration du projet de loi de finances 2015 – «PLF 2015» pour les intimes. En théorie, il est la traduction du discours politique en actes. En pratique, la présentation du budget est l'occasion de soupeser le poids de chaque ministère et de mettre le doigt sur les reniements. Le moins que l'on puisse dire, c'est que le PLF 2015 fourmille d'enseignements.
Priorités
L'agriculture, l'industrie, l'énergie et le tourisme, donc. Quatre secteurs prioritaires. Quatre ministères qui voient leurs budgets de fonctionnement fortement augmenter d'une année à l'autre. +9,4% pour l'agriculture, +19,3% pour l'industrie, +7,2% pour l'énergie et +14% pour le tourisme ! Vu comme tel, la promesse du Premier ministre a donc été respectée. Sous un autre angle, le constat est plus discutable. En un an, le ministère de l'Energie a perdu la tutelle des Mines, passées sous le giron de l'Industrie. Ce dernier portefeuille gagne donc 861 millions de crédits supplémentaires, mais avec des responsabilités élargies.
En ce qui concerne le Tourisme, la ministre Nouria Zerhouni se voit octroyer 3,4 milliards de dinars pour l'exercice 2015. C'est mieux que l'an dernier, mais c'est beaucoup moins qu'en 2012, à l'époque où son prédécesseur avait droit à près de 4,3 milliards. Autre hic : les budgets cumulés de l'agriculture, l'industrie, l'énergie et le tourisme ne représentent que 6,19% du budget total de fonctionnement des ministères. Les esprits chagrins interviendraient à ce moment précis pour préciser que l'enveloppe de fonctionnement est déconnectée de celle des investissements – «dépenses à caractère définitif» dans le jargon du législateur. Et que les politiques publiques sont davantage liées au budget équipement que fonctionnement.
C'est oublier que derrière les projets, il y a des hommes. «Evidemment qu'il faut regarder les budgets de fonctionnement, confirme l'ancien Premier ministre, Sid Ahmed Ghozali. C'est automatiquement la traduction de la volonté politique. Soit d'une gestion plus vertueuse, soit de la contraction de l'activité sur certains postes.» Au début des années 1990, l'homme a assumé les fonctions de chef de gouvernement pendant quelques mois. Le poste idoine pour connaître les arcanes de la préparation d'un projet de loi de finances. Il explique que «le budget de fonctionnement donne une indication sur l'encadrement des programmes».
A savoir l'ensemble des moyens humains déployés : salaires, essence, éventuelle location de locaux … et frais de mission. Sous le couvert de l'anonymat, un ancien cadre du ministère du Commerce parle d'une somme de 16 000 DA par jour allouée aux hauts fonctionnaires envoyés en mission à l'étranger. «L'enveloppe ne tient pas compte du pays où l'on se rend. C'est la même pour la Lettonie ou la Suisse, détaille-t-il. A Genève ou à Bruxelles, les frais de mission sont engloutis par l'hébergement et l'hôtel. Et après, il faut encore se nourrir…»
Solidarité
Plus sinistré qu'un haut fonctionnaire en mission dans une capitale européenne : le budget du ministère de la Solidarité nationale, de la Famille et de la Condition de la femme. Un symbole bien plus qu'une administration. Entre le PLF 2014 et le PLF 2015, ses moyens sont amputés… de 104 milliards de dinars ! 76,7% de diminution en un seul exercice, si l'on en croit la copie du projet de loi de finances consultée par l'APS. 80,9% si l'on prend en compte l'année 2012 comme référence. A ces niveaux-là, ce n'est plus une baisse, mais un massacre. Au Conseil de la nation, on affiche un silence gêné. «C'est un chiffre que je n'avais pas remarqué, commente la présidente de la commission santé, en charge également des affaires sociales. Mais votre question est intéressante et légitime. Nous la soumettrons à Mounia Meslem Si Amer, la ministre en charge du dossier.»
Le ministre des Finances, Mohamed Djellab, préfère lui aussi botter en touche. «Je n'ai pas les chiffres en tête, mais je ne suis pas sûr de ceux que vous avancez», lâche-t-il dans un sourire, avant de disparaître dans les couloirs, happé par ses gardes du corps. Les faits sont pourtant têtus, comme en attestent les archives des projets de loi de finances du précédent quinquennat, encore consultables sur le site du ministère. La réduction drastique de ces crédits est d'autant plus incompréhensible que le gouvernement s'engage sur la voie de la création d'un fonds de pension alimentaire pour protéger les droits de l'enfant en cas de divorce des parents. Un dossier porté par trois ministères – Justice, Finances et Solidarité – là où Mounia Meslem Si Amer aurait suffi. Cette dernière est actuellement injoignable pour cause de deuil.
Equipement
Halte à la gabegie, voici venu le temps de l'Etat responsable qui investit plutôt que consomme ! C'est l'un des messages martelés par Abdelmalek Sellal depuis son retour au Premier ministère. Force est de constater que le discours est cohérent avec les «dépenses à caractère définitif» annoncées par le budget 2015. Premier bon point : sur une année, les crédits de paiement augmentent plus vite que ceux de fonctionnement. +32% pour les premiers, +5,5% pour les seconds. Autre bon point : les autorisations de programme augmentent, à elles seules, de 49%. Ce sont ces dernières qui indiquent que l'investissement est projeté vers le long terme.
Explication : pour être éligible à un crédit, un programme doit d'abord être accepté par l'Exécutif. Cela équivaut dans le budget à l'écriture «autorisation de programme». Les «crédits de paiement» sont, pour leur part, les liquidités injectées dans le projet année après année. Théoriquement, donc, les crédits de paiement ne peuvent être supérieurs aux autorisations de programme. «C'est oublier un peu vite que la contradiction est la marque de fabrique du pouvoir en place, s'amuse un ancien ministre de l'Economie. La contradiction, ce n'est plus l'exception, c'est désormais la règle !»
En l'absence du détail du PLF 2015 – les dépenses d'équipement sont consignées à l'annexe C –, un coup d'œil aux budgets précédents confirme que les dires de cet ancien responsable se vérifient à trois reprises lors du troisième mandat. Les années 2011, 2013 et 2014 sont celles des surcoûts. Certains liés à la mauvaise évaluation des dépenses, d'autres à la dégringolade du dinar sur le marché des changes. L'an dernier, «l'anomalie» concernait les investissements d'éducation, de formation, de soutien à l'accès à l'habitat et d'infrastructures socioculturelles. Le PLF 2015 consacrera-t-il le retour à la vertu ?
Concentration
Une chose est sûre : 2015 sera encore l'année des gros ministères et des petites responsabilités. La Défense, l'Intérieur et l'Education nationale engloutissent 54% des dépenses de fonctionnement de l'Etat. Le chiffre n'étonne pas tant que cela, si l'on considère que ce sont des administrations voraces en moyens humains. Plus amusante est la comparaison avec le premier budget du troisième mandat de Abdelaziz Bouteflika, celui consigné dans le PLF 2010. Un bref comparatif permet de dresser, en chiffres, le bilan du précédent quinquennat. Et de dessiner grossièrement les priorités qui furent celles de ses deux chefs de gouvernement, Ahmed Ouyahia et l'inamovible Abdelmalek Sellal.
En cinq ans, les ministères qui voient leurs crédits s'envoler sont les Travaux publics (+259%), le Travail (+232%) et les Ressources en eau (+169%). A l'inverse, la dotation de la Solidarité et de la Famille fond comme neige au soleil (-66%), tout comme celle de l'Environnement (-56%) et celle des Transports (-35%). En valeur absolue, l'armée a plus que doublé son enveloppe, tout comme l'Agriculture, l'Industrie, le Commerce, l'Habitat, l'Eau et la Communication. Les Travaux publics et le ministère du Travail ont carrément triplé leur budget de fonctionnement !
Mais il y a encore plus cocasse. A savoir la répartition des dépenses entre la Présidence et le Premier ministère. Alors que la Constitution de 2009 consacre une liste de prérogatives élargies pour le président de la République, l'évolution des dépenses tend à démontrer que l'essentiel de l'activité a lieu désormais au Premier ministère. Quand les ressources du premier augmentent de 11,5% en cinq ans, celles des chefs de gouvernement s'envolent de 101%. La comparaison est encore plus frappante depuis l'an dernier. Le PLF 2015 consacre un recul des dépenses de la Présidence de 11%… et une augmentation de celles de Abdelmalek Sellal de 33,4%.


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