Qana n'est qu'un cas parmi tant d'autres. Il y a des Qana dans tous les villages du Sud bombardés. Dans la région d'Al Bass, après sept jours de massacres, les villageois ont vite fait appel à des menuisiers pour fabiquer des cercueils et ils ont enterré 70 civils dans une fosse commune, en majorité des enfants et des femmes », lance Ahmed, père de famille, qui a fui la région de Cheîtiyé, près de Sour (Tyr) dans le Sud-Liban, il y a une semaine, rencontré hier dans une école-refuge à Saïda, chef-lieu du Liban-Sud, à 48 km au sud de Beyrouth et à une quarantaine de kilomètres au nord de Sour. Une ville relativement épargnée par les frappes, mais dont les axes routiers sont quasiment coupés. Ponts bombardés. Itinéraires à risques. Avec ses voisins, Ahmed a tenu une semaine sous les bombardements de l'armée israélienne. Faute d'abris, ils s'abritaient dans un garage de voitures dès que les hélicoptères Apache approchaient des maisons. « Les enfants avaient si peur qu'ils ont arrêté de se nourrir durant des jours », dit Ahmed, entouré de ses quatre enfants, dont un bébé de quelques mois, dans une classe d'école improvisée en refuge pour cette famille. « Au bout du septième jour, les denrées ont été épuisées à cause des routes coupées par les bombardements, alors nous avons décidé de monter vers Saïda. En courant. En s'arrêtant de temps à autre pour se cacher des avions », poursuit Ahmed, qui ne peut quantifier le nombre d'heures du trajet. « C'était la course contre la mort. » On ne compte pas. Il ne veut pas aussi compter ce qu'il a perdu : la quasi-totalité de sa récolte de tabac et ses quelques chèvres. « Nous supplions notre gouvernement pour qu'il nous dédommage, mais avant tout il faut acheminer de l'aide aux populations coincées dans les villages du Sud », rappelle-t-il. Depuis avant-hier, le Croissant-Rouge libanais profite du semblant de trêve de 48 heures pour envoyer des convois vers les régions les plus reculées du Sud libanais, notamment dans les environs de Bint Jbeil et Hassbiya. La suspension des raids aériens a permis également à des milliers de Libanais de fuir le Liban-Sud ravagé par l'agression israélienne, en direction du Nord vers Saïda et Beyrouth. Telle cette grand-mère de 80 ans, arrivée avant-hier à Saïda en provenance de Cheîtiyé avec une vingtaine de membres de sa famille qui ont pu être transportés dans des bus d'équipes médicales. « Deux jeunes du village sont venus me demander de l'eau. Je les ai vu rentrer dans une maison à un étage, puis il y a eu une explosion », raconte la femme âgée en priant pour l'âme des deux jeunes « chouhada (martyrs) ». L'école au centre-ville de Saïda qui abrite douze familles originaires de Cheîtiyé est gérée par L'Organisation islamique du secours avec le soutien de la municipalité, des habitants de la ville qui approvisionnent les déplacés en aliments, en médicaments et en couches et par des dons émaratis. Les dispensaires de la ville sont ouverts gratuitement aux déplacés et de visu l'organisation de la prise en charge est supportée malgré l'afflux des dernières 48 heures. « Ils ont quitté précipitamment leurs foyers en abandonnant leurs affaires, leur argent, leurs vêtements, leurs papiers d'identité… Une des déplacées a oublié de délier la corde de son âne. Il doit être mort de faim et de soif aujourd'hui », dit un responsable de la Fondation Hariri pour le secours, institution qui s'occupe de 25 centres de réfugiés à Saïda, la ville natale de l'ancien Premier ministre, Rafic Hariri, assassiné le 14 février 2004. Dans l'un de ces centres, au lycée officiel de filles de Saïda, 1450 déplacés des zones frontalières avec Israël ont trouvé refuge. « J'ai convaincu mon mari de quitter Chaqra (Sud-Liban) au deuxième jour du bombardement parce que je sentais que j'étais presque près de l'accouchement. On était assiégé et les bombes nous tombaient dessus de partout. On a tout laissé à la maison et on a pris la route. Un missile est tombé non loin de notre trajet », dit cette mère qui a accouché il y a quelques jours dans un hôpital à Saïda. Un accouchement avant terme. Sa petite fille, Bahia, du nom de la députée, sœur de Rafic Hariri, engagée dans l'action humanitaire, est toujours au bloc des soins à l'hôpital. « Depuis plus d'une semaine les enfants et moi avons des brûlures dans la gorge et les poumons, nous crachons des glaires blanches, à cause des bombes à phosphore qu'utilisent les Israéliens », dit le père de Bahia, qui raconte le traumatisme de ses enfants qui ont vu lors de la fuite vers Saïda des cadavres sur la route ou sommairement transportés. « Mes enfants n'oublieront jamais cette odeur. »