Une jeune femme sur dix qui meurt dans le pays décède à cause d'une grossesse. Problème d'encadrement médical et conditions d'hygiène, les soignants dénoncent la mauvaise organisation du système de santé qui pourrait pourtant facilement réduire les risques pour les mères et leurs bébés. Faiza a 4 enfants. Le plus grand a 10 ans, le plus jeune une vingtaine de mois. Cette mère de la wilaya de Laghouat parle de ses séjours à la maternité comme de moments terrifiants. «Tu es épuisée mais tu ne peux pas dormir. Tu dois surveiller ton bébé en permanence. Il y a des renards qui entrent dans le bâtiment et ils peuvent attaquer les nouveau-nés.» A des centaines de kilomètres de là, un pédiatre de la région de Chlef rit jaune : «Dans notre hôpital, ce sont les chats qui entrent dans la maternité.» Malgré les progrès, accoucher ne se fait pas dans la sérénité. Peu de chiffres sont disponibles. La dernière enquête rendue publique par le ministère de la Santé date de 2001. A cette époque, le taux de mortalité des femmes dans le pays oscillait entre 0,5 et 1,5 pour mille, sauf pour Tamanrasset dont le taux était 3 fois plus élevé. En mars 2013, l'Association algérienne pour la planification familiale estimait que 1000 femmes mouraient chaque année du fait d'un accouchement et critiquait le ministère, l'accusant de donner de faux chiffres. «Les chiffres sont approximatifs effectivement, affirme un médecin de M'sila. Selon la loi, il est obligatoire de déclarer les décès de femmes liés à l'accouchement. Des imprimés doivent être remplis par les médecins et renvoyés aux directions de la santé. Au quotidien, ce ne sont pas les médecins qui remplissent ces rapports, mais les infirmiers ou autres soignants. Les chiffres sont modifiés parce qu'on veut prouver qu'on travaille bien et on ne veut pas de réprimande.» Malgré le manque de données fiables, le personnel soignant est plutôt unanime. «Il est aujourd'hui exceptionnel qu'une femme meure du fait d'une pathologie liée à l'accouchement, même si cela existe», affirme un médecin en service civil dans une ville de l'Ouest. Mais pour le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), «la mortalité maternelle et périnatale continue de constituer un problème majeur de santé publique en Algérie» et le taux de mortalité est «anormalement élevé». Guerre Premier problème : l'encadrement médical. «C'est un problème national, on ne forme pas assez de gynécologues et on manque de pédiatres», raconte Fouad Tayoub, médecin à M'sila où la ville n'a qu'une seule gynécologue, une jeune femme en service civil. Pour pallier le manque, l'Etat a créé des spécialisations pour les médecins généralistes, les autorisant à pratiquer des césariennes, mais cela reste insuffisant. Certaines structures de santé publique ont choisi d'assurer des gardes par wilaya. Dans la wilaya de Aïn Defla, chaque jour, un hôpital est chargé d'accueillir toutes les femmes de la région qui vont accoucher. «On se retrouve avec une trentaine de femmes en travail en même temps. Dans ces moments-là, ce sont des conditions de guerre. Il n'y a que 5 tables d'accouchement. Les 3 ou 4 sages-femmes présentes courent d'une salle à l'autre. Les femmes qui ne sont pas sur le point d'accoucher sont allongées sur des bancs ou par terre en attendant. Parfois, il y a deux femmes par lit, raconte un médecin hospitalier de la wilaya, qui explique qu'il s'agit surtout de mauvaise organisation. En dehors de ces gardes, il arrive qu'une femme qui vient accoucher en urgence, sans avoir la possibilité d'être envoyée dans l'hôpital de garde, peut être accompagnée par plusieurs sages-femmes et un pédiatre. Il n'y a pas toujours de gynécologue, mais l'encadrement médical est bien meilleur !» Hygiène Mais après la naissance, à l'hôpital, les enfants sont également en danger du fait des conditions d'hygiène. «Il y a beaucoup de va-et-vient et, surtout, les agents d'entretien ne sont pas formés aux conditions d'hygiène en milieu hospitalier. La femme de 55 ans qui fait le ménage dans l'hôpital, après un accouchement, le fait comme elle le ferait chez elle», explique un médecin de Aïn Defla. Dans un hôpital de la capitale, le manque de lits concerne aussi les nourrissons. «Les nouveaux-nés sont parfois posés par terre par manque de place», témoigne une mère qui y a accouché. A Aïn Defla, l'affluence lors des soirs de garde wilayale empêche également le seul pédiatre présent d'effectuer les visites à la naissance. «Normalement, cette visite doit permettre de déceler les malformations. Il y a un cas sur 4000, mais c'est cette visite qui nous permet de le détecter et c'est important», regrette un médecin. A M'sila, même constat : il n'y a que le CHU qui peut assurer une consultation pédiatrique à la naissance. Le manque de personnel est parfois aggravé par le manque de matériel. «Dans notre wilaya, seul le CHU possède une salle de réanimation. Les maternités n'en n'ont pas», regrette Fouad Tayoub. Un professionnel de Aïn Defla nuance : «Le problème, c'est la compétence des soignants. Là où je travaille, il y a une unité néonatale similaire à celles des hôpitaux d'Alger, mais il arrive que lorsque je demande une radio, celle-ci soit faite n'importe comment !» Autre difficulté : l'isolement de certains centres médicaux et de certains médecins. «Dans de grands centres universitaires, il y a des professeurs en médecine, des compétences sur lesquelles un soignant peut s'appuyer. Dans les petites villes, les médecins sont des fonctionnaires, sous l'autorité du directeur de l'hôpital. Ils sont considérés comme des employés et il leur est plus difficile de se faire entendre lorsqu'on veut dénoncer les défaillances», raconte un trentenaire qui travaille dans un centre de santé.