-Des voix se sont élevées, ces derniers mois, pour réclamer l'application de la peine de mort à certaines catégories de mis en cause. Quel est votre avis à ce propos ? En tant que responsable et militant au sein de la Ligue des droits de l'homme, nous sommes pour l'abolition de la peine de mort, et ce, pour des raisons multiples liées notamment à l'évolution du droit positif. Certes, la peine de mort existe dans le code pénal, mais dans la pratique elle est abolie depuis 1992 et, d'ailleurs, la dernière exécution remonte à cette date. L'Algérie a signé, entre 1992 et1993, un moratoire onusien sur le gel de la peine de mort. Un moratoire pour ne plus exécuter des sentences de peine de mort. Actuellement, la tendance internationale tend vers l'abrogation de la peine de mort. D'ailleurs, quatre pays musulmans ont fait un effort (idjtihad) dans ce sens et l'ont abolie : la Turquie, Djibouti, l'Albanie et le Sénégal. L'Algérie, il faut le dire, est à la traîne concernant l'abolition pure et simple de la peine de mort. Prenons par exemple les Etats-Unis, dans ce pays il existe des Etats qui ont aboli la peine de mort et d'autres où elle existe toujours. Eh bien, là où elle a été abolie, le crime n'a pas évolué ; par contre dans certains Etats où elle est en vigueur, le crime n'a pas baissé. Il faut aussi mentionner que toutes les études et statistiques ont montré que les accusés exécutés sont des personnes vulnérables, des déclassés sociaux, des Noirs ou des pauvres. -Mais pourquoi une telle discrimination ? Parce que tout simplement les personnes aisées ont les moyens de se payer un avocat et d'avoir une meilleure défense. Dans les pays musulmans, il y a ce qu'on appelle la «dhima», les gens aisés payent une compensation aux familles des victimes et, par ce geste, ils sont exonérés de la peine de mort. Si la peine de mort est en vigueur dans un pays, normalement elle doit s'appliquer sur les personnes ayant commis un crime à la hauteur de cette peine. Mais ce n'est pas le cas. Je vous cite un autre exemple : aux Etats-Unis, quatre prostituées ont été violentées et tuées, mais la peine de mort n'a pas été prononcée car la justice a considéré que les victimes n'étaient que des «prostituées»… Non, ce n'est pas juste. Le problème le plus grave, qui s'est posé dans plusieurs cas et à plusieurs reprises, est l'erreur judiciaire : des accusés ont été exécutés et, 20 ans, après l'on découvre qu'ils étaient innocents et qu'il y avait erreur judiciaire... -La demande des familles de victimes concernant l'application de la peine de mort, notamment sur les pervers, serait presque justifiée, non ? Je comprends les parents des victimes, mais il n'y a pas de justice privée. Dans un Etat, il y a une politique pénale. Nous pensons que ceux qui demandent le retour à la peine de mort veulent faire croire à l'opinion publique que son abrogation serait synonyme d'impunité. Ils essayent de propager cette idée complètement fausse dès lors qu'une solution existe : il suffit de substituer à la peine de mort un emprisonnement à vie, une condamnation à perpétuité. Les crimes abominables ne doivent pas être synonymes d'impunité. Un pervers est un malade, il faut le soigner et non lui couper la tête. Un malade mental a sa place dans un asile psychiatrique. Je tiens juste à préciser que la majorité des cas de peine de mort sont politiques. A mon avis, il faut analyser le phénomène de l'abrogation de la peine de mort dans la sérénité. La peine de mort est un traitement dégradant et inhumain. -Vous dites que l'Algérie est à la traîne. Dans quel sens ? L'Algérie, comme je l'ai expliqué, a signé un moratoire, la logique voudrait que maintenant, on arrive à l'abrogation pure et simple de la peine de mort. Il n'est pas question de revenir en arrière. Il s'agirait, dans ce cas, d'une situation précaire. Mais si l'Algérie ne ratifie pas le deuxième protocole, il n'y a aucune garantie légale, ce qui implique qu'elle peut à tout moment revenir sur la peine de mort. A la lumière de ce qui se passe à l'échelle internationale et vu les conventions ratifiées par l'Algérie, il faut arriver incontestablement à l'abrogation de la peine de mort. -Certains mettent en avant l'aspect religieux… Je peux dire à ces individus qu'il y a des siècles, nous n'avions pas d'outils adéquats ; maintenant, nous avons le nécessaire. Auparavant, dans le droit coutumier berbère, il y avait le bannissement. L'assassin était banni de sa région. Je vais plus loin : la lapidation des femmes adultères n'est pas appliquée, pourtant elle est citée dans le Coran ; les esclaves aussi sont cités dans des versets coraniques, mais est-ce qu'il viendrait à l'esprit de prendre des esclaves ?