La célérité avec laquelle le procureur de la République près le tribunal de Sidi M'hamed a réagi aux propos tenus pas l'ancien chef du RCD, Saïd Sadi, en ouvrant une information judiciaire, pose une fois de plus le deux poids, deux mesures qui caractérise la justice algérienne. S'il ne s'agit pas ici de discuter de la légalité de l'action du procureur, il est pour le moins légitime de se demander pourquoi le parquet reste silencieux face à d'autres affaires aussi graves que dangereuses. La plus récente est celle de l'appel au meurtre lancé par un obscur fanatique contre l'écrivain Kamel Daoud. La justice est restée silencieuse alors qu'il s'agit de propos qui tombent sous le coup de la loi et relèvent du code pénal. Le ministre de la Justice, Tayeb Louh, censé veiller à l'application de la loi, s'est contenté de dire : «Si quelqu'un se sent victime d'un préjudice, il peut déposer une plainte devant la justice.» Le procureur de la République n'avait pas jugé nécessaire de s'autosaisir de cette affaire alors qu'une personne est en danger de mort. 126 jeunes froidement assassinés en Kabylie en 2001 aucun procureur ne s'est autosaisi. Dans de nombreuses affaires, notamment celles liées à la corruption, la justice fait la sourde oreille. L'aveu du patron de l'UGTA, Abdelmadjid Sidi Saïd, en 2007 lors du jugement de l'affaire Khalifa au tribunal de Blida, où il avait assumé devant la juge qu'il avait signé un faux, sans qu'il ne soit inquiété, est une parfaite illustration d'une justice aux ordres. Cette institution, crainte par les Algériens dès qu'ils franchissent le seuil des tribunaux, aura fort à faire pour recouvrer son indépendance. Pour revenir à la nouvelle affaire de «diffamation», qu'a dit de nouveau Saïd Sadi à propos de Ben Bella, de Messali Hadj et de Ali Kafi ? Rien. Il suffit de consulter les archives des polémiques liées à l'histoire de la guerre de Libération nationale pour se rendre compte d'échanges bien plus graves, mais qui n'ont pas fait bouger le parquet. Ahmed Ben Bella, lui-même, — dans une interview au magazine français Jeune Afrique, en avril 2012 – avait qualifié Mohamed Boudiaf de «zéro» et Hocine Aït Ahmed de «beaucoup plus Kabyle qu'Algérien». La justice n'a pas vu en cela de la diffamation. Ben Bella n'était-il pas alors un justiciable comme l'est aujourd'hui Saïd Sadi. Messali Hadj, leader du mouvement nationaliste et chef historique indépendantiste qui a fondé le Mouvement national algérien, rival et opposé au FLN, a été banni de l'histoire par l'Etat algérien. L'Algérie indépendante a exclu Messali de la mémoire nationale. Il n'a obtenu la nationalité algérienne qu'en 1965. Lors de son enterrement à Tlemcen en 1974, les militants de la section locale du parti unique avaient retiré l'emblème national qui recouvrait le cercueil de Messali. Le premier à avoir réhabilité, politiquement et symboliquement, ce leader nationaliste était son adversaire durant le mouvement national, Hocine Aït Ahmed, en se recueillant sur sa tombe lors de la campagne présidentielle de 1999. Une fois président, Bouteflika a baptisé l'aéroport de Tlemcen à son nom, quoique le personnage est souvent calomnié et persécuté. La dernière salve est venue de la part de Saïd Abadou, secrétaire général de l'Organisation nationale des moudjahidine (ONM) en déclarant en 2011 que «Messali est un traître. Les Messalistes sont des collaborateurs. Ils ont aidé l'armée coloniale à mater le Front de libération nationale». Aucun procureur de la République ne s'était autosaisi.