Alors que les citoyens attendaient l'abrogation de l'article 87-bis du code du travail pour voir leurs salaires augmenter et le retour du crédit à la consommation, voilà que ces mesures considérées parmi les principales bonnes nouvelles pour l'année qui commence sont reportées faute de préparation des mécanismes d'application. C'est en fait la déception chez les salariés qui se retrouvent en revanche confrontés à une autre situation difficile, à savoir la hausse des prix des biens et services. Cette question fait en effet débat en ce premier mois de 2015 en raison de la dépréciation de la monnaie nationale. Amorcée en 2013 avec une dépréciation de 3, 8% et une parité euro-dinar en baisse de 4,32% au premier semestre de l'année dernière, cette chute risque de s'accentuer selon les experts. Les conséquences s'annoncent lourdes sur tous les prix, particulièrement ceux des produits importés. Dans ce cas, le risque inflationniste n'est pas à écarter et les prévisions risquent d'ailleurs d'être largement dépassées, surtout dans une sphère commerciale assujettie aux spéculations. Pour les produits subventionnés par l'Etat, le gouvernement continuera à soutenir les prix au même niveau actuel en dépit des divergences affichées à ce sujet. Mais pour le reste, pas de garantie, «surtout quand la rumeur prend le dessus et dicte le comportement des commerçants», nous dira à ce sujet l'expert Abderrahmane Benkhelfa. Comment ? «Certains produits importés sont des circuits de monopole. Lorsqu'il y a des turbulences sur le marché, comme la fluctuation du dinar ou des informations portant sur l'encadrement des importations, à l'exemple du retour de la licence d'importation, les spéculateurs jouent le jeu en enflant la rumeur et favorisant le stockage des produits. Ce qui induit forcément une hausse des prix», nous expliquera l'expert. «Nous sommes dans une situation où les lobbys des spéculateurs imposent leur comportement dans un marché où l'informel continue à sévir. Ils en profitent pour créer le doute et la suspicion et engendrer ainsi une hausse des prix. Car l'offre est bien là, elle n'est pas en deçà de la demande, elle est plutôt objet de monopole», ajoutera M. Benkhelfa rappelant que la désorganisation du marché ne fait qu'amplifier ce phénomène. Cependant, dans le cas où les prix observent une tendance baissière sur le marché international, comme c'est le cas actuellement dans le sillage de la chute des cours du pétrole, cette baisse n'est pas répercutée sur le marché national. «C'est un marché qui répond uniquement à la hausse. Ce phénomène ne fait que détériorer les prix», notera à ce sujet M. Benkhelfa. Produits alimentaires : des prix toujours élevés Les consommateurs ont d'ailleurs déjà ressenti ces hausses. L'année dernière à la même période, la hausse des prix des matières premières laitières a été très vite répercutée. Le lait et ses dérivés (en dehors du lait pasteurisé en sachet) ont vu leurs prix prendre l'ascenseur en l'espace de quelques jours, alors que cette année les cours des matières premières sont à la baisse, mais le consommateur ne voit encore rien venir dans ce sens. Au contraire, pour certains produits de base, à l'image des légumes secs, la hausse a été amorcée dès la fin du troisième trimestre de 2014, nous dira le représentant de l'Union générale des commerçants et artisans algériens (UGCAA), Hadj Tahar Boulenouar. C'est le cas pour les lentilles et les haricots blancs dont les prix ont sensiblement augmenté pour être multiplié par deux. Les lentilles ne se vendent pas à moins de 180 dinars, alors que le haricot blanc est cédé entre 250 et 300 dinars le kilo. Il y a quelques années, ces produits étaient à la portée de toutes les bourses. C'est dire que la hausse s'est vraiment installée dans la durée, rendant encore plus faible le pouvoir d'achat des Algériens. En novembre 2014, la hausse des produits agricoles frais a été générale : pomme de terre (+107,8%), légumes frais (+32%), poulet (+21%) et fruits frais (+14,6%). Quant aux produits alimentaires industriels, des biens manufacturés et les services, les hausses ont été respectivement de 2,9%, 3,5% et 4,7%, selon l'ONS. Les viandes blanches, les poissons et les œufs sont les exemples les plus édifiants. En effet, si les prix des viandes rouges n'ont pas connu de grands changements ces dernières semaines, celui du poulet et de la dinde s'est envolé. Aujourd'hui, le kilo de poulet est vendu à près de 450 dinars, alors que les œufs sont 13 da l'unité. Pour s'offrir ces produits pour toute la famille, notamment à certaines occasions (Mawlid, Nouvel an berbère…), il faudrait débourser pas moins de 1500 DA sans les autres produits d'accompagnement (légumes, fruits, pâtes). Ce qui n'est pas à la portée de tous les consommateurs. L'Ugcaa explique cette situation par le déséquilibre entre l'offre et la demande. Selon les chiffres recueillis à ce niveau, la production est estimée à 300 000 tonnes annuellement pour une demande de 400 000 tonnes, soit un déficit de 100 000 tonnes. Et pourtant, ce ne sont pas les mesures de soutien à la production qui ont manqué. Il y a eu, à titre illustratif, l'exonération des droits de douane des matières premières entrant dans la production de l'aliment avicole afin d'encourager les éleveurs à maintenir leur activité. Le gouvernement avait décidé pour rappel, en 2012, d'annuler les droits de douane et la TVA sur les matières premières entrant dans la fabrication de l'aliment avicole, notamment le maïs et le soja, suite au renchérissement de leurs prix sur le marché international. Cependant, ces subventions, comme c'est le cas pour tant d'autres, ne profitent pas aux consommateurs. Dans d'autres filières agricoles et agroalimentaires, les hausses ne sont pas encore perceptibles en ce début d'année, même si elles ont été appliquées timidement et discrètement pour certains produits (biscuits et fromages), comme nous l'avons constaté sur les rayons des supermarchés. Mais, globalement, l'Ugcaa n'écarte pas une hausse dans les prochains mois. «Si la dépréciation du dinar se poursuit, les prix à l'importation augmenteront. Ce qui sera répercuté sur le marché», avertit le porte-parole de l'Ugcaa. Meubles, électroménager : entre stabilité et hausse Par ailleurs, concernant, les meubles importés (de Chine, Malaisie…) à outrance ces dernières années avec l'essor qu'a connu le marché de l'ameublement en Algérie, les importateurs n'envisagent pas encore une hausse des prix. «Cette année, nous achetons certes plus cher les meubles que nous vendons en Algérie avec la hausse du dollar et la dépréciation du dinar. Mais nous ne pouvons pas augmenter les prix dans la situation actuelle. Nous avons en revanche réduit notre marge bénéficiaire», nous dira un importateur. Pourquoi ? «Parce que le marché est calme, la demande n'est pas importante par rapport aux années précédentes. Elle dépasse largement l'offre», nous expliquera notre source. Dans l'électroménager, même si une hausse a déjà été annoncée, pour l'heure les prix n'ont pas encore bougé. C'est le cas chez Condor. Khaled Bouderbala, directeur régional, nous dira : «Notre objectif est de maintenir les prix à leurs niveaux actuels. Une révision à la baisse des prix de certains produits est possible». L'entreprise n'a pas encore été touchée par l'impact de la hausse du dollar. «Nous avons fait nos commandes depuis longtemps. Ce qui fait que nous avons une marge de manœuvre», nous expliquera M. Bouderbala écartant ainsi une augmentation des prix au cours du premier semestre 2015. Sinon, pour les mois d'après les choses ne sont pas encore claires. Chez Samsung, un nouveau listing est prévu cette année pour les nouveaux produits, alors que les prix seront maintenus pour les anciens produits, selon Celya Ayoub, représentante de Samsung. Donc, globalement, le marché s'annonce stable pour ce début d'année en attendant l'évolution. Cependant, pour les robots ménagers, les revendeurs annoncent une révision à la hausse. «Juste le temps d'écouler le stock de 2014. Après, tout sera augmenté. Nous achèterons plus cher nos produits cette année», justifiera un commerçant implanté en plein cœur d'Alger. Même son de cloche chez les revendeurs d'El Hamiz. Les voitures plus chères Dans le marché de l'automobile, la hausse est plus accentuée, que ce soit pour les voitures neuves ou pour celles d'occasion. «Je voulais changer de voiture cette année, mais je pense que je dois encore attendre le temps de renforcer mes économies, les prix ont fortement augmenté», témoigne un père de famille. «Les concessionnaires automobiles vont certainement augmenter les prix face aux exigences des lois qui les obligent à équiper leurs véhicules avec des équipements de sécurité conformes aux standards internationaux», dira pour sa part un chauffeur de taxi avant d'ajouter : «Même les pièces de rechange coûteront plus cher.» Il faut dire que l'association algérienne des concessionnaires automobiles (AC2A) a déjà annoncé la couleur fin 2014. «La baisse du dinar par rapport à l'euro et au dollar pénalise les concessionnaires automobiles. Le cours de change nous met dans une situation difficile dans le positionnement de nos produits», a expliqué Moura Oulmi dans une sortie médiatique récente. Certains concessionnaires ont déjà affiché les nouveaux prix. Il y a même eu des majorations dépassant les 900 000 DA. 2015 sera donc l'année des dépenses à outrance et des hausses des prix sur toute la ligne, dont certaines sont pour rappel encadrées par la loi de finances 2015 : cigarettes et timbre fiscal pour le passeport. Ce dernier est passé depuis le 1er janvier de 2000 à 6000 DA, alors que les cigarettes ont vu leur prix augmenter entre 10 et 12 dinars. Mais pour le reste, la situation risque de se corser avec l'absence d'un système de régulation efficace.