Le président déchu Saddam Hussein, passible de la peine de mort dans un premier procès en cours, doit répondre lundi, lors d'un deuxième procès, des accusations de génocide contre les Kurdes pendant la campagne Anfal (1987-1988), qui s'est soldée par au moins 100 000 morts. Le parquet va essayer de prouver qu'en ordonnant la campagne Anfal, Saddam s'est rendu coupable d'un génocide. Moins d'un an après l'ouverture de son procès pour le massacre de 148 chiites de Doujail, dont le verdict doit être rendu le 16 octobre, Saddam va vivre son deuxième procès depuis la chute de son régime en 2003 : il risque la peine de mort dans les deux procédures. Le procès qui se déroule au Haut tribunal pénal siégeant dans la zone verte, le secteur ultraprotégé de Baghdad, pourrait durer plusieurs mois selon des experts. Le nom du juge, le chiite Abdallah Al Ameri, qui présidera les débats, a été tenu secret le plus longtemps possible pour des raisons de sécurité : le premier juge du premier procès avait démissionné en cours de procédure alors que trois avocats de la défense ont été tués. Le procureur en chef du tribunal, Jaâfar Al Moussaoui, a affirmé qu'il ouvrirait la séance et passerait ensuite la main à une équipe de trois avocats dirigée par Me Munkis Taklif Al Faraon. Une équipe de quarante avocats, dont quatre participeront aux débats, représente les parties civiles kurdes. Saddam Hussein et ses six co-accusés, dont le général Ali Hassan Al Majid, dit « Ali le chimique » ou le « boucher du Kurdistan », seront défendus par une équipe de douze avocats. La campagne Anfal avait pour objectif d'étouffer les velléités nationalistes kurdes en s'attaquant aux populations civiles, selon l'accusation. Si les troupes irakiennes ont effectivement été accrochées par de la guérilla kurde peshmerga, elles sont accusées d'avoir concentré leur puissance de feu sur les villages kurdes et d'avoir utilisé des armes chimiques. « Les tueries ne sont pas en rapport avec la contre-insurrection », souligne l'observatoire américain des droits de l'homme Human Rights Watch dans son rapport détaillé sur la campagne Anfal. Le parquet tentera également de prouver l'existence de camps d'internement et des exécutions en masse. « Les prisonniers étaient tués plusieurs jours ou même plusieurs semaines après que les forces de sécurité eurent atteint leur objectif », affirme le rapport précisant que ces points sont des indices d'une volonté de génocide. En 1986, Saddam Hussein, dont le régime était fragilisé entre autres par la guerre contre l'Iran entamée en 1980, aurait ordonné à « Ali le chimique » de réprimer les Kurdes, dont la région échappait de plus en plus au contrôle de Baghdad. Entre 1987 et 1988, au moins huit offensives ont été lancées contre le Kurdistan. Lors de celles-ci, certaines régions étaient vidées et des populations déplacées dans des zones interdites où la répression faisait rage. Le nombre de morts oscille entre 100 000 et 180 000, selon les différentes estimations. Outre l'enjeu de la reconnaissance du génocide, le procès devrait également avoir un fort écho politique. Depuis 1991 et la fin de la première guerre du Golfe, le Kurdistan jouit d'une large autonomie qui était garantie en partie par la création d'une zone d'exclusion aérienne imposée par les Etats-Unis à Saddam Hussein. Aujourd'hui, le Kurdistan est une province autonome de l'Irak, un pays gouverné par une fragile coalition d'union nationale, présidé par le Kurde Jalal Talabani. L'avenir du Kurdistan est incertain. Le sort de Kirkouk, ville historique pour les Kurdes, mais habitée également par des turcomans, chiites et sunnites, pose un problème d'autant plus épineux que la région recèle du pétrole. Le procès pourrait rassurer les Kurdes sur la volonté politique de punir les exactions du passé contre eux, mais il pourrait aussi rouvrir de vieilles blessures et relancer ainsi les velléités indépendantistes dormantes. Si, par ailleurs, les preuves du massacre de centaines de milliers de Kurdes à l'instigation de Saddam Hussein sont solides, il est à signaler toutefois que le tribunal spécial qui va le juger parait, selon de nombreux observateurs, mal armé pour mener un procès sur une question aussi complexe que le génocide. D'où l'idée que ce deuxième procès pourrait, tout comme le premier, durer dans le temps avant de connaître un épilogue.