Il a fallu que les citoyens sortent massivement dans la rue dans le sud du pays, et ce n'est pas la première fois, pour que la Présidence daigne enfin organiser un Conseil ministériel rétreint, ultime trouvaille de la gouvernance de Bouteflika, pour répondre à leurs doléances. A l'origine de cette sortie, il y a bien évidemment la contestation la plus large et la plus massive qu'ait connue cette région contre le gaz de schiste. Mais il n'y a pas que cela : la protesta qui inquiète le pouvoir au plus haut point, pour lui avoir consacré une réunion de ce niveau-là, est aussi la parfaite expression du marasme, du dénuement des conditions extrêmes de pauvreté – In Salah en témoigne – que vivent les citoyens du Sud depuis des lustres. A ne pas se méprendre, la colère de la population est surtout la traduction de la non-gouvernance et de l'échec patent de ceux qui gèrent le pays depuis quinze ans, sans en exonérer bien évidemment ceux qui en tenaient les commandes avant. Qu'est-ce que propose en réalité le mini-Conseil des ministres tenu avant-hier sous la présidence d'un chef d'Etat très affaibli ? «Améliorer la scolarité, offrir du logement, encourager l'investissement, régler le problème du chômage, créer des zones industrielles, de nouvelles wilayas déléguées et mettre en place une gouvernance locale.» Le refrain est connu de tous. Il est ressassé à volonté depuis l'arrivée de Bouteflika au pouvoir, en 1999. Ou sont donc passés les fonds et les enveloppes dégagés spécialement pour développer le Grand-Sud ? Personne ne le sait. L'anarchie dans laquelle est plongé le pays – considérée par les tenants du pouvoir comme une réussite de gestion menée par un Président clairvoyant – et pas uniquement dans sa partie sud commence à poser de sérieux problèmes dont les gouvernants auraient pu faire l'économie. Pourtant, des propositions ont été faites, tantôt par l'opposition tantôt par des commis de l'Etat, pour extirper le pays du cercle infernal de la mauvaise gestion et du sous-développement qu'elle génère. En effet, à la lumière des dernières recommandations présidentielles, la situation dans le Sud pose sérieusement la problématique de la réorganisation de l'Etat. La décision de créer des wilayas déléguées que préconise le Conseil ministériel restreint est-elle la réponse idoine à une question qui devrait plutôt s'inscrire dans une vision globale de réforme ? Le président Bouteflika lui-même, dès son accession au pouvoir, en1999, avait mis en place une commission de réforme de l'Etat dont les conclusions recommandaient une véritable décentralisation des pouvoirs. Le rapport de Missoum S'bih, qui prévoyait la création de cinq à sept ensembles ou régions réunissant plusieurs wilayas, est aux oubliettes. Pis, l'initiateur de la démarche, le président de la République lui-même, a pris depuis le chemin inverse en concentrant entre ses mains tous les pouvoirs. Dans un rapport qui diagnostique les maux du pays, le Conseil national économique et social (CNES) du défunt Mohamed Salah Mentouri – qui a produit en 2001 un document d'une importance rare sur les collectivités locales – avait lui aussi émis presque les mêmes recommandations en préconisant une véritable réforme de l'Etat, une décentralisation de la gestion des affaires publiques et, surtout, plus de pouvoirs pour les représentants du peuple, c'est-à-dire les élus locaux. Le rapport a été jeté à la poubelle. Le CNES, qui jouait alors un véritable rôle de veille économique et sociale, a été soumis lui-même à une terrible perversion, transformé en caisse de résonance du pouvoir. Plusieurs partis de l'opposition, entre autres le RCD et le FFS, ne cessent de plaider pour la réorganisation de l'Etat. Le premier parle d'«Etat unitaire régionalisé», le second de «fédéralisme». Il y a réellement, dans la société, une convergence de vues sur la nécessité de décentraliser l'Etat. Mais personne ne semble le prendre en compte pour une simple raison : la décentralisation suppose une réelle vie démocratique dans les institutions du pays. Et les tenants du pouvoir ne sont pas dans cette optique. Promettre l'amélioration de la gouvernance locale et le développement du Sud pour stopper la contestation contre le gaz de schiste montre toute l'étendue de l'incurie de la politique présidentielle.