Dans son rapport annuel qui examine les pratiques dans plus de 90 pays, présenté hier à Beyrouth, l'ONG Human Rights Watch critique, dans 656 pages, les violations des droits de l'homme dans les pays instables qui nourrissent l'émergence du groupe Etat islamique en Irak, ainsi que la crise en Ukraine, tout en condamnant le sacrifice de ces droits pour renforcer la sécurité. «Les violations des droits de l'homme ont joué un rôle majeur dans le développement ou l'aggravation de la plupart des crises actuelles», a expliqué le directeur de Human Rights Watch, Kenneth Roth, en présentant, hier à Beyrouth, le rapport annuel de son organisation. En effet, selon ce rapport, les violations des droits de l'homme, y compris par les Etats-Unis, ont en partie nourri l'émergence du groupe Etat islamique en Irak ainsi que la crise en Ukraine. Beaucoup de gouvernements «semblent considérer que les menaces sécuritaires actuelles doivent être prioritaires sur les droits de l'homme. Ils semblent estimer que les droits de l'homme doivent être relégués au second plan», devenus de ce fait «un luxe». Mais le calcul n'est pas bon, selon M. Roth, car les droits de l'homme sont au contraire «une boussole essentielle de l'action politique» et les remiser au placard est «une considération de courte vue et contre-productive». D'un côté, dans ce document, HRW déclare que la propagation du groupe terroriste Etat islamique dans le Moyen-Orient est en partie un produit de la guerre menée par les USA, l'occupation militaire de l'Irak en 2003, qui a généré un vide sécuritaire et des abus en matière de droits de l'homme sur les détenus dans la prison d'Abou Ghraib à Baghdad et d'autres centres de détention américains tel que celui de Guantanamo ; d'un autre côté, en Irak, Washington et Londres ont aussi «largement fermé les yeux» sur les politiques confessionnelles de l'ex-Premier ministre chiite Nouri Al Maliki, la persécution de minorités sunnites, les détentions arbitraires et les exécutions sommaires, en continuant même à livrer des armes à son gouvernement. Cadeau En Syrie, les Etats-Unis ont réuni une coalition d'une soixantaine de pays pour combattre l'EI, mais aucun d'entre eux n'a fait pression sur le président Bachar Al Assad «pour arrêter le massacre de civils». «Cette vision sélective a été un cadeau pour les recruteurs de l'EI, qui se sont présentés comme les seuls capables de résister aux atrocités d'Al Assad», explique M. Roth. «L'Occident ne réussira pas à stopper l'EI s'il permet à cette organisation de dire qu'elle est la seule à pouvoir empêcher Assad de larguer des barils explosifs» sur la population civile, assure-t-il. Ce même choix a été opéré en Egypte, où la réponse mondiale à la répression «sans précédent» du président actuel, le général Abdel Fattah al-Sissi, est «honteusement inadéquate», selon M. Roth. Washington n'a pas osé qualifier de coup d'Etat le renversement de l'ex-président islamiste Mohamed Morsi, en raison de ses inquiétudes pour la sécurité de la turbulente péninsule du Sinaï, voisine de son voisin allié Israël. Le soutien au gouvernement de Sissi est «un désastre pour les Egyptiens qui espèrent un avenir démocratique» et envoie un «message épouvantable à la région». «L'EI peut désormais, de façon crédible, prétendre que la violence est le seul chemin qui mène au pouvoir, parce que lorsque (les islamistes) cherchent le pouvoir par des élections et gagnent, ils sont mis dehors sans beaucoup de protestation internationale», ajoute M. Roth. Internet Du côté de la Russie, qui a étouffé les voix dissidentes ces deux dernières années, les violations des droits de l'homme et la «relativement faible réaction» des pays occidentaux «a pu aussi aggraver la crise en Ukraine». Ces pays, revenus à «une mentalité de bons contre méchants» et désireux de montrer l'Ukraine comme la victime de l'agresseur russe, se sont montrés «réticents à traiter les violations (de droits de l'homme) par l'Ukraine». La sécurité à l'ère numérique inquiète aussi Human Rights Watch, qui s'alarme de l'espionnage quotidien mené par les gouvernements, en collectant les données de centaines de millions de personnes. «Partout, les gouvernements développent une capacité de surveillance de masse» sur le modèle des champions en la matière, Washington et Londres, estime la chercheuse de HRW chargée d'internet, Cynthia Wong. «Un vrai scénario orwellien pourrait se mettre en place», prévient-elle. De l'Irak à la Syrie, de l'Egypte au Nigeria en passant par l'Ukraine, le directeur de HRW essaie de trouver la solution à l'instabilité qui marque ces pays marqués par l'instabilité. «Protéger les droits de l'homme et permettre aux habitants d'avoir leur mot à dire sur la manière dont leurs gouvernants traitent les crises sont une clé pour leur résolution», estime le directeur de HRW.