Gérer, c'est décider. Aussi bien en management d'entreprises qu'au niveau des choix macroéconomiques, la caractéristique essentielle des responsables consiste à arbitrer entre plusieurs options possibles. L'art de décider constitue l'essence des réussites des entreprises et des pays. Il est dès lors intéressant d'analyser comment les pays émergents arrivent à produire des décisions d'une grande efficacité. Il n'est pas question de tomber dans l'apologie sans limite des pratiques de ces pays. Il leur arrive de commettre des erreurs graves, comme les mesures irréfléchies qui avaient induit la fameuse crise asiatique au début de 1997. Cependant, le FMI, à l'époque, avait «forcé la main» à ces pays pour prendre des décisions catastrophiques. Mais dans l'ensemble, les pays comme la Chine, la Corée du sud, la Malaisie, le Brésil et autres arrivent tant bien que mal à produire des décisions économiques et à définir clairement les rôles des acteurs (patronat, syndicats...) en vue de rendre des décisions efficaces. Il est plus intéressant d'analyser les pays émergents car ils sont beaucoup plus proches de nous. D'ailleurs, eux-mêmes se sont fortement inspirés du fameux MITI japonais. Le cas des pays développés est légèrement différent. En plus d'une organisation spécifique de l'Etat, ces derniers s'appuient sur un réseau de «Think-Tank» qui leur facilite les choix et les options de cohérence. Mais les pays émergents sont plus proches de nos préoccupations, car ils doivent transformer leurs fondamentaux de base pour hisser leurs performances au niveau des pays évolués. Ils doivent réformer l'école, l'université, les administrations, les entreprises et l'ensemble des institutions. Le défi serait d'arriver à un niveau de croissance qui permette de rattraper les économies développées. Toute une réingénierie globale devait être effectuée. Les questions intéressantes sont : qui décide dans ces pays ? Comment se déroule le processus de décision ? Peut-on s'inspirer de ces modèles pour architecturer dans notre pays un schéma décisionnel efficace ? Pays émergents : Un judicieux partage entre la décision politique et les choix techniques Il est très intéressant d'analyser le processus d'organisation des pays émergents. Il est en grande partie la source de leur succès. Il y a beaucoup de choses à apprendre de ces pays et à transposer dans notre contexte, sans pour cela copier à la lettre les expériences. Il y a toujours des adaptations à faire. Mais dans l'ensemble, leurs expériences sont très utiles. Elles sont basées sur deux principes fondamentaux. Le premier principe consiste à opérer une grande séparation entre les décisions techniques et politiques. Le second principe consiste à mobiliser les cerveaux de tous pour produire le maximum de décisions importantes. Nous allons analyser comment tout cela est articulé. En premier lieu, les décisions politiques priment sur le reste. Elles émanent des plus hautes autorités du pays. Il est évident que ce sont les institutions politiques qui donnent des grandes orientations, les objectifs stratégiques et la vision. On se souvient de la classe politique japonaise qui fixait l'objectif en 1947 de figurer en l'an 2000 parmi les 3 premières super puissances économiques mondiales. La Malaisie qui à la fin des années 1970 élaborait un plan pour devenir un pays développé en 2020. Récemment, la présidence de la Corée du Sud fixait comme horizon 2040 pour devenir un pays 747 (7e puissance mondiale, 40 000 dollars par tête d'habitant, et 7% de croissance moyenne annuelle). Les choix politiques s'imposent aux institutions techniques comme l'égalité d'opportunité, l'équilibre régional, une plus grande équité dans la distribution des ressources, etc. La vision et les objectifs nationaux sont fixés par les élus politiques. Ils sont dans leur rôle. Les techniciens ne sont là que pour traduire en termes de programmes et plans techniques les décisions prises au niveau politique. Mais quelle organisation ces pays émergents ont produit ! Aussi bien l'Institut coréen de développement, que l'instance de planification chinoise ou le conseil de planification de la Malaisie sous l'égide du Premier ministère constituent de «Véritables Institutions Cerveaux» de ces pays. Ces instances sont de véritables entités de mobilisation de toute l'intelligence du pays. Elles dialoguent intensément et souvent conjointement avec les ministères, le patronat, les syndicats, les ONG, les centres de recherche et même de simples citoyens. Par là, elles mobilisent l'intelligence de tous les citoyens pour en extraire les meilleures idées et concevoir des plans stratégiques cohérents et ouverts. Que peut-on tirer de ces expériences pour notre pays ? Il y a beaucoup de leçons que l'on peut tirer de ces belles expériences. Nous ne pouvons qu'évoquer les plus importantes. La première est que pour les pays qui veulent émerger, c'est l'unique schéma d'organisation de la décision qui fonctionne. Les autres ont tendance à déraper. Le schéma inverse le plus répandu est en opération dans tous les pays qui ratent leur décollage économique. Il consiste à ignorer les deux principes de base qui ont été décrits précédemment. Les exemples de l'Ukraine et le Belarus en sont les plus éloquents. Dans le premier pays, la structure chargée des analyses prospectives est une simple direction au ministère des Finances dont personne n'entend parler. Alors que le président de l'Institut coréen de développement est la seconde personnalité la plus respectée après le président de la République. En second lieu, dans le schéma d'échec, chaque ministère fait un plan partiel (plan industriel, touristique, santé, agriculture, etc.) avec une insuffisante coordination. Les plans sont souvent contradictoires et créent des incohérences partout. Il faut à tout prix éviter ce genre d'organisation. En second lieu, ce sont les décisions politiques qui se substituent aux décisions techniques. Dans les pays insuffisamment structurés, les politiciens nomment les directeurs d'entreprises et de banques publiques en fonction de critères que personne ne connaît. Les grands axes de politiques économiques reposent rarement sur des fondements rationnels. Alors, c'est surtout le lobbying politique qui prime sur la rationalité économique. Dépendant de la sociologie politique du pays, les prises de décision seraient fonction du poids politique des acteurs économiques. Parfois ce seraient des syndicats qui arracheraient le maximum d'avantages en faveur de leurs membres et seraient susceptibles d'orienter les politiques économiques vers leurs intérêts. Dans d'autres nations, ce seraient une partie du patronat ou des ONG qui seraient en position d'infléchir la décision économique en fonction de leurs intérêts. C'est l'absence d'une organisation économique efficace de l'Etat qui sécrète ces anomalies. De toute façon, l'émergence économique est impossible sans une organisation rationnelle de l'Etat et le respect de principes sacro-saints de structuration des pouvoirs publics. Pour le moment, nous sommes dans le second schéma. Mais nous voulons accéder à l'émergence. Alors il est temps de changer radicalement l'organisation et le mode opératoire de fonctionnement de l'Etat.