- Pourquoi voulez-vous faire descendre les travailleurs de la zone industrielle dans la rue ? L'avertissement que nous avons lancé, hier, est une réponse aux déclarations faites la semaine dernière par le président du FCE, qui ont été rapportées par la presse mais jamais démenties ni par le concerné ni par un quelconque responsable. Nous avons attendu que les pouvoirs publics et la centrale syndicale s'expriment sur ce sujet aussi sensible, et comme il n'y a rien eu, nous avons décidé de réagir. On ne sait pas qui décide dans ce pays. Je peux vous assurer que nous avons été harcelés par les travailleurs pour dénoncer ce silence inquiétant. Les travailleurs connaissent mieux que quiconque les conséquences dramatiques de cette opération de privatisation menée par le passé, qui a complètement détruit le tissu industriel du pays, sans parler des milliers de travailleurs jetés à la rue. Tous les économistes algériens s'accordent à dire que le bilan de la privatisation menée ces dernières années a été un échec total, voire une fatale pour le pays et surtout un bouleversement pour des milliers de travailleurs et leurs familles. Evoquer encore de telles mesures en ce moment et surtout par le patronat est considéré comme un affront au monde du travail. Qu'a rapporté la privatisation, sinon le désarroi et la dévastation de notre tissu industriel productif ? Savez-vous que la plupart des entreprises privatisées ont été transformées en hangars pour le stockage des produits importés, d'autres sont jusqu'à présent fermées. Nous devons faire le bilan de ces privatisations avant d'en reparler. - Comment expliquez-vous le silence affiché par les travailleurs et les syndicats des autres régions du pays sur cette question ? Je vous rappelle que la zone industrielle de Rouiba est le bastion des luttes syndicales. La lutte pour préserver les acquis des travailleurs est une tradition chez nous. Nous ne sommes animés par aucun intérêt et nous n'appartenons à aucun parti ni clan. Notre seul souci, ce sont les milliers de travailleurs de la zone qui ont toujours été solidaires et ont considérablement apporté au monde du travail et à l'UGTA. La plus grande démonstration a été faite en 2006, où plus de 15 000 travailleurs ont marché dans la rue pour dénoncer les privatisations. Aucun débordement n'a été constaté. La marche a été saluée par tout le monde. En 2010, c'est grâce à la mobilisation des employés de la zone qu'on a sauvé la SNVI. Même chose pour Infrafer. En septembre 2011, pas moins de 1000 travailleurs de la zone se sont déplacés à Alger et organisé un sit-in devant la maison du Peuple pour dénoncer la violation du code de travail et le licenciement des travailleurs. Les pouvoirs publics nous ont donné raison et de nombreuses décisions ont été prises au lendemain de cette marche. Je retiens surtout cette décision prise par l'ex-Premier ministre, Ouyahia, en sa qualité de président du CPE, en faveur d'Infrafer, qu'on s'apprêtait à enterrer pour favoriser des multinationales. Les privatisations ont été annulées et de nombreuses entreprises ont été soutenues financièrement, à l'image de la SNVI. Et tous les employés sanctionnés ont été réintégrés dans leur poste grâce au soutien de leurs camarades. - Pourquoi ne vous a-t-on pas entendu réagir au congrès de l'UGTA, après la réélection de Sidi Saïd que d'aucuns accusent de soutenir les politiques du patronat ? Parce que personne ne va vous entendre. Et les voix discordantes étaient très minoritaires au congrès. La plupart des présents ne sont pas venus pour discuter des préoccupations des travailleurs, mais pour les postes. Nous, nous avions proposé 63 amendements du statut particulier de l'UGTA, mais un seul a été pris en considération. On n'a pas abordé non plus le nouveau code du travail qui supprime la totalité des droits aux travailleurs, on n'a parlé ni de l'IRG ni du 87bis, on ignore encore s'il est abrogé ou redéfini. Si on continue comme ça, on va droit dans le mur. On ne veut pas que l'UGTA soit affaiblie. Le pays et les travailleurs ont encore besoin de cette organisation. Nous ne voulons pas que ce précieux acquis, né en pleine Révolution, soit sacrifié pour des postes de responsabilité. Et laissez-moi vous dire que ce n'est pas que Sidi Saïd ; le mal est aussi dans les membres du secrétariat national qui ne respectent pas leurs engagements. La zone de Rouiba n'a jamais été représentée. Il y a une semaine, deux candidats élus démocratiquement pour siéger au secrétariat national, dont un est un secrétaire national, ont été suspendus arbitrairement, sans aucun motif valable. Où allons-nous avec de telles démarches, avec de telles pratiques d'un temps révolu qui portent préjudice à l'UGTA et démobilisent les cadres syndicaux ? - Comment voyez-vous le devenir des entreprises publiques dans notre pays ? Le devenir du secteur public dépend des choix de ses gestionnaires. Je crois qu'il y a une réelle volonté des pouvoirs publics de le préserver. N'oubliez pas qu'il y a des patriotes dans ce pays, qui font tout pour préserver les acquis des travailleurs, mais il y a aussi des rapaces. Mais quand on voit qu'aucun parti politique ou organisation de la société civile n'a réagi aux déclarations du FCE, il y a matière à s'inquiéter.