Lundi 17 février, suite à la décapitation de 21 citoyens égyptiens d'obédience copte, l'Egypte bombarde les positions de l'Etat islamique (EI) et appelle à une intervention militaire d'une coalition internationale. Les réserves émises par le Qatar ravivent les tensions entre les deux pays. «Les réserves émises par le Qatar témoignent du soutien de ce dernier au terrorisme», estime le délégué égyptien Tarek Adel auprès de la Ligue arabe. Cette déclaration a poussé Doha à rappeler, hier, son ambassadeur au Caire pour «des consultations», selon l'agence officielle QNA. Lors d'une réunion de la Ligue arabe mercredi sur les raids aériens égyptiens contre des positions du groupe Etat islamique (EI) en Libye, le Qatar a émis des réserves quant à l'intervention militaire sur le sol libyen pour laquelle appelle l'Egypte. Doha a même critiqué le fait que le Caire n'ait pas consulté les autres pays de la Ligue arabe avant toute action militaire unilatérale contre un autre Etat membre de l'organisation panarabe. En revanche, le Caire dit avoir la légitimité de se défendre suite à la décapitation de 21 Egyptiens, revendiquée par des djihadistes de la branche libyenne du groupe Etat islamique. Le président égyptien, Abdelfattah Al Sissi, conjointement avec François Hollande, soulève qu'il n'y a pas d'autre choix que d'appeler l'ONU à voter une résolution pour une intervention militaire menée par une coalition internationale. Cette position est largement réfutée par la scène internationale, qui préconise la solution politique à la crise libyenne. Depuis le bombardement par l'Egypte du fief des djihadistes en Libye, la tension semble monter entre les deux pays fraîchement réconciliés. Le Qatar est le seul pays parmi les monarchies arabes qui soutenait le président déchu, Mohamed Morsi, issu de la confrérie des Frères musulmans, et ce n'est qu'en décembre que Doha a apporté son soutien au président Abdelfattah Al Sissi. Les monarchies du Golfe, qui ont soutenu auparavant le nouveau président égyptien, se sont exprimées par la voix du secrétaire général du Conseil de coopération du Golfe (CCG), Abdellatif Al Zayani, pour apporter leur soutien au Qatar : «Ces accusations sont infondées et erronées. Elles ignorent les efforts sincères déployés par le Qatar, avec les autres membres du CCG et les pays arabes, pour lutter contre le terrorisme et l'extrémisme.» Ingérence L'absence du consensus au sein de la communauté international au sujet de la Libye est derrière le bras de fer entre l'Egypte et le Qatar. Depuis la chute de Mouammar El Gueddafi, en octobre 2011, le pays est morcelé entre une multitude de milices rivales. Cependant, un désastre institutionnel s'ajoute aux troubles sécuritaires, puisque un autre gouvernement a été formé à Benghazi, devenu désormais le centre de l'extrémisme islamiste et le fief des djhadistes libyens. Le Qatar et ses alliés se sont vus à plusieurs reprises accusés d'ingérence dans ce pays et de financer les terroristes. Khalifa Haftar – le général qui est à la tête d'une opération baptisée Karama (Dignité) pour en finir avec l'organisation terroriste Ançar Al Charia établie à Benghazi – avait dénoncé l'aide «insidieuse» de la Turquie et du Qatar aux groupes extrémistes et avait sommé les représentants des deux pays de «quitter la Libye». L'Egypte, a, par contre, plusieurs fois aidé discrètement le général Haftar le long des frontières. Par ailleurs, mardi dernier, le président égyptien avait appelé à affronter le «problème» libyen, considérant que les Européens n'avaient pas achevé leur mission lors de l'intervention sur le sol libyen en 2011. «Nous avons abandonné le peuple libyen, prisonnier de milices extrémistes», avait déploré M. Al Sissi. Selon un communiqué de l'armée égyptienne, le président Al Sissi s'est rendu mercredi sur une base aérienne dans l'ouest de l'Egypte pour inspecter les forces chargées de sécuriser la frontière avec la Libye, et a appelé les militaire «de maintenir le plus haut degré de préparation pour mener à bien toute mission pour la protection de la souveraineté de l'Egypte» Enjeux Entre les enjeux égyptiens et autres qataris, la Libye semble devenir la scène d'affrontement géopolitique. Le Qatar, petit pays peuplé uniquement de 200 000 habitants et de 1,8 million de travailleurs étrangers, est connu pour sa politique de haute visibilité stratégique pour combler sa vulnérabilité géo-démographique. Les ambitions diplomatiques de Doha, malgré sa petitesse géographique, se sont révélées au grand jour en Libye, quand il fut l'un des premiers pays arabes avec les Emirats arabes unis à avoir soutenu ouvertement les rebelles, y compris sur le plan militaire, jusqu'à la chute du régime du colonel El Gueddafi. Les services secrets qataris sont intervenus lourdement, aux côtés des Occidentaux, notamment des Français, pour détrôner le colonel libyen. Ils sont aussi dénoncés régulièrement par Bachar Al Assad, le président syrien, qui les accuse de fournir des armes aux rebelles. L'Egypte, de son côté, tout droit sortie du «printemps arabe» qui a amené les islamistes au pouvoir, a subi un coup d'Etat mené par le général Al Sissi, élu président avec 93% des voix. Entre problèmes sociaux, économiques et sécuritaires, le président égyptien est arrivé au pouvoir lors d'un suffrage le 3 juillet 2014 ; frappé dans sa légitimité, il semble vouloir flatter l'ego de son peuple avec une guerre qui le réunira autour de lui contre un ennemi commun..