Ahlam Mosteghanemi, 61 ans, est de loin la romancière algérienne la plus lue et la plus vendue dans les pays arabes actuellement. En 2006, le magazine américain Forbes a classé l'écrivaine parmi les dix femmes arabes les plus influentes. Ses romans tels que Dhakiratou al jassad (La Mémoire de la chair), Aber sarir (Passant d'un lit), Fawdha al hawass (Chaos des sens), Nissyancom (L'Art d'oublier) et Al Aswadou yalikou biki (Le Noir te va si bien) sont des best-sellers. Les ventes de ses romans dépassent souvent les 200 000 exemplaires. Dhakiratou al jassad, son premier et son premier succès, a été vendu à plus d'un million d'exemplaires ! Youcef Chahine voulait, avant son décès, l'adapter au cinéma ; il n'a pas pu le faire. Souvent, les livres d'Ahlem Mostaghanemi sont publiés en plusieurs éditions (jusqu'à quinze parfois !), ce qui est assez rare pour les romanciers algériens dans les pays arabes et ailleurs. Grâce à la maison d'édition libanaise Dar Al Adab, Ahlem Mosteghanemi s'est faite connaître partout, parmi le lectorat arabophone et même au-delà. Cette belle Constantinoise s'intéressait à la poésie dès son jeune âge au point de présenter une émission à la radio algérienne (Hamassat) avant de poursuivre des études en sociologie à la Sorbonne à Paris dans les années 1970, encadrée par Jacques Berque. Fille du militant du PPA/MTLD Mohamed Cherif Mosteghanemi, forcé à l'exil par le régime colonial français après les massacres du 8 Mai 1945, Ahlem Mosteghanemi est née à Menzel Temim, en Tunisie. «Après l'indépendance de l'Algérie, nous sommes rentrés par la route. Mon père nous a fait visiter Constantine, Oum El Bouaghi, Aïn Beïda. A Batna, je dormais sur un tapis traditionnel, je prenais du petit lait de la guerba. On ne guérit jamais de sa mémoire. Les souvenirs d'enfance nous poursuivent. Et la mémoire peut devenir mortelle. Dans la vie de tous les jours, il ne faut pas harceler la mémoire, car elle ne ressemble pas à nos rêves. Mais pour écrire, nous avons besoin d'un choc», affirme Ahlem Mostaghenemi, évoquant l'écriture de son premier roman, Dhakiratou al jassad. Ce livre audacieux et intense a été traduit dans une quinzaine de langues, dont le chinois, le russe, l'anglais, l'espagnol et le français. «J'adore la générosité chez les gens. Nous vivons une époque où les mains sont utilisées pour le pillage, pas pour offrir. Nous vivons l'époque de l'égoïsme», a-t-elle regretté. Destin Dans ses livres, Ahlem Mostaghenemi évoque l'amour, le combat des femmes pour leur liberté, raconte Merouana et ses chants, se rappelle de Constantine et de Batna, célèbre la poésie et la beauté, parle de sexe et des nuits torrides, dénonce les injustice, s'élève contre l'extrémisme religieux... Elle saute les barrières, casse les murailles, ouvre les fenêtres, défonce les portes, réduit les distances, tord le cou aux préjugés... Ahlem Mostaghenemi est anticonformiste, rebelle, révoltée, courageuse. Au début des années 1970, elle fut chassée de l'Union des écrivains algériens parce que le ton qu'elle utilisait ne plaisait pas à la bien-pensance de l'époque et «mettait en danger» la «Révolution» socialiste du colonel Boumediène. «Je n'ai pas choisi mon destin. Mais je n'ai jamais accepté de m'incliner. Je suis venue au monde debout, comme l'Algérie», a-t-elle dit un jour. Le père de la romancière, un homme digne et courageux, n'a jamais accepté le coup d'Etat militaire de Boumediène contre Ben Bella, au point d'échapper à une tentative d'assassinat et de sombrer dans une dépression nerveuse. Installée à Paris puis à Beyrouth, Ahlem Mostaghenemi ne sera réhabilitée en Algérie qu'en 2009 par l'ex-ministre de la Culture, Khalida Toumi. La romancière s'est rappelée avec émotion de son «exil» au Liban. «J'ai pris dans ma valise les chansons de Deriassa, Fergani, Saloua, des skecths de Boubagra et de Moh Bab El Oued. Mais aussi des chants patriotiques qui faisaient à chaque fois pleurer mon père. L'Algérie m'a tant fait rire, m'a tant fait pleurer. Il faut mettre les médailles sur les poitrines, pas sur les tombes. L'amour se cache dans les détails. Que le chemin qui mène vers vous était long... Trente ans pour arriver à cette tribune !», a-t-elle déclaré lors d'un dîner organisé en son honneur à l'hôtel El Aurassi, à Alger. Et d'ajouter : «Prenez soin de nos écrivains. J'espère que l'histoire inscrira ce soir que mon pays aime les écrivains autant qu'ils l'ont aimé.» Depuis cette date, la romancière a été reçue au Salon international du livre d'Alger, a animé des conférences à Batna, Constantine et ailleurs. Et elle sera à l'honneur lors des prochaines festivités de Constantine, capitale de la culture arabe 2015. Les romans d'Ahlem Mosteghanemi sont enseignés dans plusieurs universités au Liban, aux Etats-Unis (où elle a animé des conférences, notamment à Yale et Boston), en France, en Tunisie, au Canada, aux Emirats arabes unis. C'est une littérature qui fait référence. «Quand les étudiants vous accueillent chaleureusement, qu'ils vous lisent et adorent ce que vous faites, c'est que vous entrez dans l'éternité. Je parle de l'éternité de vos idées et de ce que vous défendez», a-t-elle souligné après un passage historique à Constantine et à Batna. Elle fait depuis une campagne pour nettoyer les villes algériennes. «Je veux que les lecteurs qui lisent sur les villes que je cite dans mes livres les retrouvent aussi belles et attirantes dans la réalité», a-t-elle plaidé. Ahlem Mostaghenemi vient de publier, à Beyrouth, Alayka al lahfa (Tu es tant désirable) un recueil de poèmes à la tonalité contemporaine, fraîche et vivace. C'est un retour au doux passé, puisque l'écrivaine a publié son premier recueil de poèmes, Ala marfa'a alyam (Sur le Quai des jours) en 1973, en Algérie. «Il y a trop de morts autour de nous aujourd'hui dans le Monde arabe. En écrivant, nous ressemblons à celui qui siffle dans l'obscurité pour ne pas avoir peur. J'ai appris à défendre la phrase qui me fait peur, car elle est la seule à me ressembler», a-t-elle déclaré dernièrement lors de la Foire du livre de Sharjah, aux Emirats arabes unis.