L'écrivain et universitaire Mohamed Sari construit depuis des années une œuvre aux multiples palettes. Ainsi, aux côtés de son travail de professeur de littérature, il est aussi traducteur du français à l'arabe. Il a fait connaître au public lisant en arabe des romans de Yasmina Khadra, Anouar Benmalek et Boualem Sansal. Lui-même a publié de nombreux romans en arabe et en français. Dans son recueil de nouvelles paru en langue française, en 2010, aux éditions Alpha et intitulé Le naufrage, Mohamed Sari, avec une maîtrise de la technique d'écriture de ce genre très spécial, nous étonne par ses narrations et les chutes qu'il leur donne. La nouvelle Le naufrage, qui donne son titre au recueil, traite des harraga, ces jeunes qui «brûlent» la mer pour aller vers l'eldorado européen. Dans son approche littéraire de ce phénomène, Mohamed Sari donne le nom d'Ulysse au héros de cette intrigue passionnante. Dans une autre, au titre évocateur, L'aubaine du taxieur, l'auteur part de la crise du logement et des transports dans la capitale pour tirer une sorte de légende urbaine qui conviendrait à une adaptation cinématographique. L'œuvre de Mohamed Sari ne perd pas de vue la théorie et l'histoire littéraires. En 2013, il a publié Contemplations autour de la pensée, de la littérature et de la critique. Cet essai très intéressant est un recueil d'articles où l'auteur, avec sa pédagogie habituelle, entraîne les profanes dans les arcanes du monde des lettres. Ainsi, on peut lire au sujet des prix littéraires un point de vue assez pertinent. Nos prix et leurs prix parle du mécénat culturel inexistant en Algérie. Il s'appuie pour l'exemple sur le parcours d'Alfred Nobel qui a dédié une partie de sa fortune à la création de prix prestigieux. D'autres articles viennent enrichir cet essai, comme celui qui aborde l'histoire du roman algérien écrit en arabe qui a tardé à prendre sa forme actuelle à cause de l'influence de la poésie et n'a connu son essor qu'après l'indépendance de l'Algérie. Dans un autre texte, on peut aussi découvrir le problème de la langue d'expression chez les auteurs, sans oublier une présentation de la revue Naqd, une des rares publications intellectuelles périodiques en Algérie. Sari revient enfin sur les lieux de mémoire qui se sont imposés dans son œuvre littéraire et les thématiques qui l'intéressent. Tout cela nous mène à nous intéresser à son dernier roman paru en 2013 et intitulé Les tours vacillantes. Mohamed Sari y replonge le lecteur dans la décennie noire. On fait d'emblée connaissance avec le narrateur, un certain Abdelkader Bensadok, avocat de son état et ancien professeur des collèges. Le lieu de l'intrigue est Aïn El Kerma qui a perdu la saveur de la figue pour sentir la poudre et les manigances. L'auteur décrit de façon remarquable la dégradation de la vie dans les petites villes qui perdent en humanité ce qu'elles gagnent en extension urbaine. Ces bourgs tentaculaires, qui naissent sur les décombres de la convivialité, deviennent un enfer où se consume le savoir-vivre pour finir par enfanter des monstres. C'est dans cette atmosphère anxiogène qu'on découvre dans le collège de Aïn El Karma le cadavre d'un jeune étudiant universitaire gisant au milieu de son sang. Il s'agit de Nabil, fils de Rachid, directeur de cet établissement et ami de l'avocat narrateur. Tout le monde arrive en même temps sur la scène du crime, à savoir les enquêteurs de police et l'avocat Abdelkader Bensadok. En pleine détresse, Rachid raconte à son ami la descente aux enfers de son fils qui s'est radicalisé en fréquentant des extrémistes religieux qui ont perverti son fils. Cela donne l'occasion au narrateur de chercher à comprendre comment s'opère le basculement dans l'horreur. Cette introspection remet aussi au cœur de l'intrigue le parcours de l'avocat jusqu'au barreau après avoir été enseignant pendant quelques années. Le roman devient une chronique très pertinente de l'évolution des mœurs en Algérie depuis l'indépendance, sans omettre les comportements économiques et la naissance de la culture de la prédation. L'auteur a compris qu'on ne saurait expliquer le phénomène du terrorisme sans passer par la connaissance de l'homme et de son histoire. Et comme un malheur n'arrive jamais seul, Rachid, après avoir perdu son fils, voit sa femme dépérir jusqu'à tenter de mettre fin à ses jours. Il panique à cause de ce suicide raté et ne comprend pas la succession des malédictions qui le frappent, surtout que son épouse est une croyante qui sait que le suicide est interdit par la religion. Le narrateur se pose lui aussi beaucoup de questions sur cette société qui a perdu la tête dans cette guerre sanglante avec des comportements inexpliqués. La quête de la vérité devient son sacerdoce, et le titre du roman, Les Tours vacillantes, prend tout son sens. Les personnages ont des allures imposantes mais sont minés par leurs contradictions et les aléas de la société où ils vivent. Le roman, au-delà de son côté fictionnel, peut être considéré comme une photographie authentique restituant une époque trouble avec ses périls avérés. Ainsi, Mohamed Sari poursuit une œuvre multiforme et multilingue qui apporte une contribution positive aux lettres algériennes. Mohamed Sari, «Waquafate fi al Fikr oua al adeb ou a naqd», Dar Atanouir. Alger 2013. Mohamed Sari, «Al Quilaa Al moutaakila», Barzakh, Alger, 2013.