Le ministre libanais de l'Environnement, Yaâcoub Sarraf, a prévenu, avant-hier vendredi, contre la pollution de l'air et des nappes phréatiques, après la destruction par Israël de la centrale électrique de Jiyé (30 km au sud de Beyrouth), ayant provoqué une marée noire sur les côtes libanaises. « Les cuves ont brûlé pendant 12 jours d'affilée et le nuage toxique qui s'en est échappé va avoir des conséquences catastrophiques sur l'air et sur l'eau », a affirmé M. Sarraf, cité par des agences. « Des produits toxiques se sont déposés sur les sols, les fruits et les légumes et sur les maisons. A la première pluie, ils vont s'enfoncer dans la terre, risquant de contaminer les nappes phréatiques », a-t-il mis en garde. Près de 15 000 t de pétrole se sont déversées des cuves de la centrale vers la mer suite aux bombardements israéliens. « Après une première frappe le 13 juillet, les pompiers de la centrale ont réussi à éteindre l'incendie. A la deuxième, le 15 juillet, ils n'avaient plus de mousses ni de produits. Le feu a duré 12 jours », a précisé le ministre. Il a, en outre, indiqué que ses services et ceux du ministère de l'Agriculture avaient effectué des prélèvements et des analyses sont en cours. Les experts provenant des Nations unies, des centres de recherche, des organisations non-gouvernementales et du secteur privé, estiment le coût initial de l'opération de nettoyage à 50 millions d'euros avec probablement un nouveau besoin de financements en 2007, selon des sources onusiennes. On estime, selon les mêmes sources, que la marée noire qui s'en est suivie a touché 150 km de côtes et qu'elle s'étend au Nord jusqu'aux côtes syriennes. L'ONG libanaise Greenline a indiqué que l'environnement marin méditerranéen souffrira très fortement pendant de nombreuses années de cette marée noire. La côte libanaise est une zone importante pour de nombreuses espèces de poissons et pour la reproduction des tortues de mer, dont la tortue verte, qui est une des espèces en voie de disparition en Méditerranée. De plus, le thon à aileron bleu, qui est une des espèces commerciales importantes en Méditerranée et qui est déjà sous l'effet d'une exploitation trop intensive, est présent dans les eaux côtières méditerranéennes orientales en cette période de l'année. Les dégâts sur les secteurs les plus directement concernés, la pêche et le tourisme, sont catastrophiques. Les estimations les plus optimistes établiraient que le secteur touristique soit frappé pour une ou deux saisons. Vendredi, la défense civile libanaise, conseillée par des experts danois, a enfin entamé le nettoyage de l'anse et du port de Raouché, à Beyrouth. Des équipes sont aussi à l'œuvre 40 km plus au Nord, dans le port touristique de l'ancienne Byblos, d'où elles ont extrait en dix jours 250 t de pétrole, selon An Nedsa, l'un des experts danois délégués par l'Union européenne à Beyrouth. Agents toxiques des bombardements Sur la seule plage publique de la capitale, Ramlet El Baïda, Greenline a enfin pu commencer jeudi de ramasser le sable pollué. Avec le site même de Jiyeh, ce sont les secteurs les plus touchés par la pollution, selon Mohammed Sarji, président du Syndicat des plongeurs professionnels, qui a répertorié et photographié les fonds avec ses équipes. Un expert américain, Rick Steiner, dépêché d'Alaska par l'Union mondiale pour la conservation de la nature (UICN), a jugé que « l'écosystème marin et du littoral a été davantage contaminé qu'on ne le pensait. Plus la pollution dure, plus elle est dangereuse ». Après le nettoyage des plages et des rochers, il sera « indispensable de récupérer le maximum de pétrole encore en surface et surtout au fond de l'eau », a-t-il souligné en recommandant l'usage de robots télécommandés pour relever l'étendue du désastre en eaux profondes. Lors d'une réunion, le 17 août, au Pirée (Grèce), sous l'égide du Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE), une dizaine de pays ont promis leur aide logistique au Liban, qui attend également 200 000 euros de l'UE, 200 000 USD de l'Opep (Organisation des pays exportateurs de pétrole) et autant du Programme de l'Onu pour le développement (Pnud). La tâche s'annonce rude : « Certaines plages nettoyées, comme à Byblos, ont été de nouveau souillées par le pétrole qui reste en surface », relève ainsi le directeur du Centre national de recherches marines à Batroun (40 km au nord de Beyrouth), Gaby Khalaf. Interrogé par le quotidien libanais L'Orient Le Jour, Pierre Malychef, pharmacien d'Etat, docteur en phytothérapie et en écotoxicologie (poisons de l'environnement), explique que les bombes lâchées durant les attaques israéliennes ont libéré un grand nombre d'agents toxiques dans l'air. M. Malychef constate que les centaines de tonnes d'obus de moyen et fort calibre du type « obus brûlants » ou « à fragmentation » ont produit des incendies dans la plupart des cas. Ces feux ont été causés, poursuit-il, par des agents incendiaires de type nitrate, surtout dans le cas d'obus contenant des éléments phosphorés. Il ajoute que certains obus contiennent des éléments redoutables ayant dans leur composition de grandes quantités d'oxygène et de chlore, les chlorates. « Le chlore libéré agit sur les poumons et cause des brûlures de peau », a-t-il indiqué au journal libanais.