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Extinction du domaine de la lutte
LECTURE-ANALYSE : SOUMISSION» DE MICHEL HOUELLEBECQ
Publié dans El Watan le 21 - 03 - 2015

A l'heure où nous parvenaient les échos assommants de cette polémique engendrée par la sortie du livre et dont il était impossible de se soustraire, la première appréhension qu'un lecteur pouvait avoir était que la montagne accouche d'une souris ; on envisageait ainsi, malgré soi, la possibilité du nul.
Et puis, quand on finit de lire le roman, on se rend compte que non seulement la montagne a accouché d'une souris, mais plus encore d'une souris mort-née. La version locale du dicton est alors volontiers plus appropriée : «El mendba kbira wel meyet far» (L'affliction est grande quand le défunt est un rat).
On sort de ce roman comme on sort d'une épicerie, sans plaisir ni émotion particulière, comme si les 300 pages traversées avaient été blanches. On se retournerait presque pour voir si l'on n'a rien raté, et puis on consent que le seul raté probable est celui de l'auteur à l'égard de son livre.
Alors pourquoi cette blanche déception, cet ébahissement devant le vide romanesque de ce non-événement ; comment un livre aussi ennuyeux a-t-il pu attirer autant d'ennuis ?
D'abord, l'histoire. Il faut tout de suite commencer par aviser que le synopsis répandu dans la plupart des médias à des fins de promotion n'est pas le bon. Soumission n'est pas l'histoire d'une islamisation de la France par les urnes et de la montée vers la gloire d'un Président musulman. Les méandres d'une telle trame auraient été bien trop compliqués pour un personnage houellebecquien centré sur sa propre inanité et dont les interactions avec le monde sont réduites au minimum («l'humanité ne m'intéressait pas», dit-il). C'est le parcours sans enthousiasme d'un universitaire parisien, «inému» et inanimé, spécialiste de Huysmans. En toile de fond politique, l'étiolement de la dualité traditionnelle gauche/droite favorise la montée puis l'élection d'un Président musulman. A plus grande échelle – déclinisme oblige –, la civilisation occidentale finissante se fait progressivement remplacer par une civilisation islamique, ou du moins par l'idée rapidement bricolée que se fait Michel Houellebecq de l'islam. Le tout est parsemé de trois saillies, un peu d'humour, beaucoup de lassitude et des clichés par packs de douze à consommer sans modération. La problématique de base qu'a suscitée le livre dès sa sortie (et même bien avant) est relative à la vraisemblance de son propos.
Est-ce que oui ou non la France de 2022 peut ressembler à celle imaginée et décrite dans le livre ? On peut considérer que c'est un débat qui n'a pas lieu d'être puisqu'un romancier est tout à fait en droit d'imaginer le monde qui lui sied. Or, l'incongruité et la contradiction initiale de la situation se situent précisément à ce niveau puisque la promotion du livre, tout en avançant la fiction comme passe-droit, a fait de la crédibilité du roman son fonds de commerce.
Ainsi, si vous dites que ce roman est alarmiste et excessif et par là même islamophobe on vous rétorquera que c'est une fiction, mais si toutefois vous baissez la garde un instant, on ira chercher quelques corrélations hasardeuses avec des faits de l'actualité pour vous montrer avec grande évidence que tout ce qui est dit est plausible. Ce concordisme primaire, beaucoup de médias et de critiques en ont usé et cette entourloupe insidieuse dont a profité le roman pour bâtir son succès représente exactement son côté vicieux et nocif.
Cette nocuité implique directement la responsabilité de l'auteur qui, grâce à des procédés romanesques rudimentaires, entasse les aberrations les unes sur les autres tout au long de son œuvre, tout en les faisant passer, grâce à son narrateur amorphe et perméable, pour les évidences les plus plates.
Cela d'autant plus aisément que l'œuvre souffre d'une sensible carence dialectique la privant de densité et d'altérité, où les personnages pensent à peu près tous la même chose ou, pour les plus téméraires, ne pensent pas du tout. Ainsi, nous aurons en 2022 une France où plusieurs millions d'électeurs votent pour le président musulman Mohamed (même Marine Le Pen y croit, c'est dire à quel point ça ne risque pas d'arriver).
Il est élu d'une part à la faveur d'une mobilisation basée sur le fait historique que l'électorat est prêt à se mobiliser pour n'importe quelle cause, pour peu qu'il s'agisse d'empêcher le FN de monter et, d'autre part, grâce à une victoire démographique qui n'est pas sans rappeler la théorie du Grand Remplacement de Renaud Camus, si chère à Eric Zemmour et ses pairs identitaires. Dès lors et suite à un tour de magie auquel le lecteur n'assiste malheureusement pas, la France devient du jour au lendemain non seulement islamique, mais encore plus islamique que les trois quarts des pays musulmans eux-mêmes.
Dans la France de Soumission, c'est-à-dire dans 7 ans, les femmes ne travaillent pas. A 15 ans tout au plus ce sont déjà des épouses, même si elles continuent à lire Picsou (sic). Ce sont les épouses d'hommes qui ont bien entendu d'autres épouses dont au moins une de 40 ans ou plus qui sert à préparer thé et baklava (en français dans le texte, re-sic). Voilà à peu près à quelle pitoyable et frustrante vision de l'islam on pouvait s'attendre de l'écrivain français le plus lu dans le monde.
A côté de cela, la disposition des personnages à adhérer à l'absurde est quasi kafkaïenne. On peut très bien entendre des coups de feu et des explosions inexpliquées, enjamber des corps sans vie, on ne sourcille pas et on continue à faire des blagues. Là encore, l'objection la plus molle n'est pas relevée, la société civile n'a évidemment aucune parole, et tout le monde roupille dans un sinistre renoncement que la philosophe italienne Michela Marzano a qualifié très judicieusement de «philosophie du pourquoi pas». A bien la considérer, cette philosophie de la banalisation suscite un effet latent très pernicieux. Par la grâce d'un jeu subtil de glissement des niveaux diégétiques, le lecteur se retrouve inconsciemment mêlé au point de vue du roman.
La banalisation aux yeux du narrateur «exige» la banalisation aux yeux du lecteur et, sous le coup d'une évidence tellement pesante et tellement bien présentée, ce lecteur n'a pas d'autre choix que la «soumission».
Toutefois, et même si l'aspect qu'on a souvent qualifié de visionnaire dans l'œuvre de Houellebecq s'est retiré et a laissé place à une fantaisie opportuniste sur laquelle ont trop pesé les impératifs éditoriaux et commerciaux, les grands thèmes et le style distinctif de l'auteur de La Possibilité d'une île et d'Extension du domaine de la lutte sont toujours là. Un peu érodé, trop souvent retourné, le palimpseste référentiel est néanmoins toujours présent.
D'ailleurs, les retrouvailles timides avec ce cachet prosaïque terne et inflexible sont probablement la seule joie à laquelle aura droit un lecteur coutumier. Ainsi ne feront pas défaut cet humour sombre qui réduit les choses à leur plus plate et leur plus rabattue vérité, ce besoin de croyance en quelque force providentielle, le rayonnement de la négativité, l'impossibilité chronique du bonheur, l'amour comme seul exil concevable mais immanquablement malheureux, l'égotisme endémique, le parti pris de la résignation, la haine ordinaire de soi et des autres, la décrépitude des valeurs humaines, l'anéantissement irrévocable du sentiment filial, et toute cette kyrielle de leitmotivs entremêlés, chers à l'auteur, et qui concourent dans sa vision vers l'inéluctable désœuvrement universel.
On retrouvera aussi cet archétype de personnage qu'on sent inexpugnable dans son retrait des hommes, dans son ermitage en soi avec des plats surgelés comme seuls compagnons, savourés comme la plus grande extase envisageable pour ponctuer le dessèchement des journées planes et uniformes, parfois affligeantes mais la plupart du temps indolores.
Et puis, la lecture du roman nous replongera dans ce fleuve tranquille et inébranlable qui draine, insoumise, la constance de la solitude. Fidèle aussi à ses habitudes et en faisant une transposition exacerbée de la médiocrité qu'il croit voir dans l'époque, Houellebecq cristallise ce besoin enfoui de l'abject qui dort dans le lecteur potentiel.
Il le grossit jusqu'à la démesure et le met au premier plan, puis le rend exclusif. Ainsi peut-être cet effet anesthésiant, cet apaisement clinique que procurent les romans houellebecquiens proviennent-ils de ce qu'à défaut de haïr, nous apprécions secrètement la haine des autres, surtout quand elle est si bien exprimée. A notre bonneté supposée ou admise (ou au moins notre bienséance) s'oppose, comme à travers un miroir déformant, un personnage central qui lui ne s'encombre d'aucune bonne manière et qui représente une sorte d'idéal inversé, le héros inavoué de notre part obscure.
Ce «bien fait pour sa gueule» qu'il peut vous arriver de dire une fois dans votre vie à l'égard d'une quelconque circonstance ou dans un quelconque moment d'agacement, Houellebecq le saisit et en fait la clé de voûte de son œuvre. Il glisse dans la brèche de l'infime potentiel d'animosité du lecteur pour chercher le terreau de prédilection de son personnage qui peut, sans gêne aucune, faire abstraction de toutes les qualités humaines et ne garder que le ressentiment comme propriété exclusive.
Mais y compris dans ces points les plus distinctifs de sa littérature, Houellebecq avait visiblement usé son univers sociolinguistique et ses mécanismes textuels bien avant Soumission, qui n'en propose qu'une molle reproduction atteinte, à mi-chemin entre délire et exotisme, d'un épuisement paradigmatique patent.
En dépit de son succès commercial (fruit d'un coup de force et non dû à sa qualité inhérente), ce roman sera rapidement classé dans un coin de la bibliographie de son auteur où roupille déjà l'épistolaire Ennemis publics, futile livre de correspondance avec le sinistre Bernard-Henri Lévy.
Par un effet de contagion ou une sorte de syndrome psychosomatique littéraire, Houellebecq a tellement parlé de vide et d'insignifiance qu'il a fini par produire l'œuvre la plus vide et la plus insignifiante qui soit. L'inanité comme style a fini par se brouiller avec l'inanité comme objet, et l'ennui comme esthétisme devient l'ennui comme fin, comme produit. Ainsi assistons-nous peut-être à l'apogée de tout un art, à l'aboutissement ultime de toute une œuvre dont le but n'est plus de parler d'insignifiance, mais d'être elle-même insignifiante…


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