La révision de la Constitution, à force d'être différée et de ressembler à un habit d'Arlequin, a-t-elle encore un impact sur le quotidien des Algériens ? Si la classe politique et les médias ont tendance à trop s'agiter autour de la nouvelle mouture de la loi fondamentale dont personne ne connaît encore les modifications profondes qu'elle comportera, à part ceux qui l'ont triturée en cercle fermé, ni les surprises qu'elle réservera, les citoyens se montrent aujourd'hui généralement très distants — pour ne pas dire indifférents — vis-à-vis de la projection de ce projet, annoncé pourtant en grande pompe par le président de la République il y a une année déjà, et présenté comme une panacée virtuelle à toutes les déviations démocratiques que nous vivons depuis que Bouteflika avait entrepris, au terme de son second mandat, de façonner le texte à sa mesure. C'était au temps brumeux de la contestation populaire qui s'amplifiait démesurément dans un système de gouvernance complètement bloqué, et durant lequel la contagion du printemps arabe, en toile de fond, était ressentie comme un danger imminent pour le pays par un Pouvoir aux abois. Une période trouble, incertaine, porteuse de toutes les tentations, qu'il fallait gérer dans la précipitation pour survivre aux événements et qui donc a vu le lancement de toute une série de «réformes» dans le but de maîtriser très vite la situation politique et sociale avant qu'elle ne devienne incontrôlable partant du postulat que celle-ci risquait d'exploser à tout moment. Acculé et devant son incapacité à trouver les solutions démocratiques qui lui sont posées par la société, le Pouvoir en place s'est donc vu contraint de revenir sur la Constitution pour montrer aux Algériens qu'il avait compris la teneur de leurs attentes et de leurs espérances. Mais si réviser la constitution signifie pour les citoyens un acte majeur à inscrire dans la volonté politique d'instaurer réellement une alternance démocratique en Algérie qui viendrait mettre un terme à un régime autoritariste largement consolidé par le règne de l'actuel locataire d'El Mouradia, le contenu du programme ne semble pas du tout être de la même veine pour le clan présidentiel qui, une fois la braise éteinte, a vite fait de retrouver ses vieux réflexes en tergiversant sur ses engagements et en louvoyant sur les changements les plus importants que laissait entrevoir la loi fondamentale. La preuve, une année après la réélection de Bouteflika dans les conditions que l'on sait, on n'a toujours pas dévoilé le moindre indice sur les points essentiels du nouveau document qui doivent nous dire si celui-ci est plus enclin à défendre la démocratie ou pas par rapport au précédent. En termes plus constitutionnalistes, personne ne sait si la séparation des pouvoirs figurera dans la prochaine mouture, idem pour l'indépendance de la magistrature, des droits de l'opposition et de la majorité au Parlement. Encore moins sur la limitation du mandat présidentiel qui devrait revenir à son échéance initiale (deux années) ou la nomination d'un vice Président qui a fait couler beaucoup d'encre jusque-là. En somme, on a laissé sciemment le terrain à la spéculation médiatique sans apporter les indications nécessaires pouvant orienter les Algériens sur les perspectives démocratiques qui s'ouvrent à eux à travers cette révision, tout en essayant de gagner du temps pour mieux ficeler le projet consensuel qui arrangerait évidemment les affaires du sérail en premier. C'est pour ainsi dire le mystère le plus complet sur un texte de loi qui doit régir l'avenir du pays et assurer l'après-Bouteflika, mais qui serait livré à de sournoises tractations échappant, semble-t-il, au Président lui-même. Qui est dans le secret et qui ne l'est pas ? Qui a intérêt à maintenir le texte dans ses fondements conservateurs, et qui veut plutôt les révolutionner ? Y at-il contradiction au sommet à propos de la direction à prendre ? Tout porte à le croire tant que les diverses sphères de décision ne réussissent pas à accorder leurs violons. Entre-temps, on a l'impression que la Constitution à venir qui prend la forme d'une véritable boîte de Pandore ressemble à un champ miné qui risque de désillusionner plus d'un. Si le chef de l'Etat est vraiment habité par la détermination de donner à la Constitution une vocation plus démocratique, plus ouverte sur la société, et qui plus est aurait, dit-on, personnellement le souci de réparer un règne dictatorial qui a mené le pays à la catastrophe, pourquoi ne pèsera-t-il pas de tout son poids pour libérer les initiatives que tout le monde attend ? En cautionnant le brouillard qui entoure ce chantier, il confirme plutôt son désir de maintenir le pays sous sa coupe théoriquement jusqu'au terme du quatrième mandat. Cela voudra dire qu'il ne faut pas s'attendre à de grands bouleversements tant qu'il aura encore la force d'être aux commandes. Une Constitution plus démocratique, ce sera peut-être après 2017 si le régime actuel, dans sa vision monopoliste, tiendra jusqu'à cette date.