Lentement mais sûrement, les Algériens se sont décomplexés vis-à-vis de tamazight, que le régime du parti unique frappait, depuis l'indépendance, du sceau de l'ostracisme. Jamais depuis le Printemps berbère, qui fête aujourd'hui son 35e anniversaire, la question de l'officialisation de la langue amazighe n'a été aussi brûlante dans l'actualité nationale. Bien que subsistent encore des «poches» d'arrière-garde pour qui tamazight devrait, au mieux, se contenter d'être un élément de l'identité nationale désincarné, il y a incontestablement une prise de conscience populaire et politique sur la nécessité de lever enfin cette hypothèque. Le fait est que de nombreux partis politiques, jusque-là hésitants, assument de plus en plus publiquement leur soutien à l'officialisation de la langue amazighe. Y compris ceux qui ont tété les mamelles de la pensée unique, comme le FLN et le RND, qui ne se gênent plus d'user du tifinagh sur leurs affiches de campagne. Il y a donc un dégivrage des idées au niveau politique, nourri par un combat citoyen long, permanent. Tamazight s'est imposé dans la société algérienne au point où même les locuteurs arabophones font l'effort d'apprendre quelques mots, histoire de se préparer à la réparation inéluctable d'une injustice historique faite à cette langue millénaire. Lentement mais sûrement, les Algériens se décomplexent vis-à-vis de tamazight, que le régime du parti unique frappait, depuis l'indépendance, du sceau de l'ostracisme. C'est dire qu'en attendant son accession à un statut officiel, tamazight a enregistré de formidables avancées en Algérie dans son triptyque de langue, culture et identité. Et en ce 35e anniversaire du Printemps amazigh, qui intervient en plein débat sur la révision de la Constitution, le pouvoir est particulièrement attendu sur cette question. Dégivrage de la pensée Le président Bouteflika, qui fait de la réconciliation nationale son cheval de bataille, serait mieux inspiré de franchir le pas, comme il l'avait fait en 2002 pour le statut national dans le sillage du printemps. La promotion de tamazight en tant que deuxième langue officielle au côté de l'arabe s'impose comme une condition sine qua non d'une vraie réconciliation des Algériens avec leur longue histoire et leurs racines. Au-delà du fait que ce soit un juste cheminement de cette revendication, qui a connu bien des péripéties ponctuées de sacrifices, l'officialisation de tamazight pourrait, ironie de l'histoire, constituer une planche de salut pour un pouvoir impopulaire, surtout dans les régions amazighophones. Les tentations autonomistes, voire séparatistes, qui se font jour, en Kabylie notamment, doivent être prises très au sérieux. Elles traduisent une réaction radicale vis-à-vis d'un pouvoir resté sourd aux appels à la raison lancés depuis des décennies par un mouvement qui a fait preuve d'une grande pédagogie politique par son pacifisme. Bouteflika et son gouvernement doivent se rendre à l'évidence qu'ils ne peuvent plus tromper tout le monde tout le temps ; où s'appuyer sur les positons de quelques coteries locales à qui il offre des strapontins moyennant leur silence complice. On ne peut plus se suffire d'une langue amazighe enfermée dans un Commissariat depuis 1995, qui plus est sans président depuis 2004. Le pouvoir dispose d'une occasion en or de régler définitivement cette question et l'extirper des luttes politiciennes pour passer à autre chose. Ce serait un message de nature à impulser une refondation nationale basée non plus sur les atavismes ethniques et régionaux mais sur un contrat social dans lequel l'Algérie sera au-dessus de toute considération. Tamazight, c'est maintenant La révision de la Constitution offre en l'occurrence une opportunité inespérée à Bouteflika de sauver son règne en faisant preuve d'un courage politique qui ne choquera pas grand monde au demeurant. Tamazight est en effet une réalité indépassable en Algérie, en dépit d'une certaine pensée ankylosée, pour qui la pluralité est perçue non pas comme une richesse mais comme une menace. Il serait dommage pour l'Algérie de rater une telle occasion de se réconcilier enfin avec son histoire, alors même que des particularismes locaux font des ravages sous d'autres latitudes. Tafsut va-t-elle donc fleurir et donner des bourgeons démocratiques pour ce beau pays ? D'asirem (c'est un souhait).