Le juge d'instruction tunisien, chargé du dossier relatif au kidnapping des journalistes Soufiane Chourabi et Nadhir Guetari, a entendu, avant-hier à El Beïda, les cinq terroristes (2 Libyens et 3 Egyptiens) arrêtés il y a deux semaines dans l'Est libyen, qui ont reconnu avoir participé à l'enlèvement et assisté à l'assassinat des deux journalistes. Le porte-parole du ministère tunisien de la Justice, Soufiane Silliti, a déclaré hier que le juge d'instruction tunisien, ayant fait le déplacement en Libye depuis une semaine, a assisté la veille aux témoignages des terroristes impliqués dans l'enlèvement et l'assassinat de Chourabi et Guetari l'automne dernier. «L'article 7 de l'accord de coopération judiciaire entre la Tunisie et la Libye n'autorise le juge d'instruction qu'à écouter les témoignages des accusés, en présence du ministère public de l'autre pays. Il n'a pas le droit de les interroger directement», a-t-il précisé. Des sources concordantes ont indiqué que les deux journalistes auraient été tués depuis l'Aïd El Adha, soit pendant la première quinzaine du mois d'octobre dernier. Ils seraient enterrés dans un champ aux environs de Derna, ville sous la domination d'Ansar Charia. Les traces des deux journalistes tunisiens, Soufiane Chourabi et Nadhir Guetari, ont été perdues depuis le 8 septembre dernier, près d'Ajdabia, aux limites du triangle pétrolier de l'Est libyen. Ils étaient alors en mission en Libye depuis une dizaine de jours. Par ailleurs, cinq journalistes de TV Barqa (quatre Libyens et un Egyptien) avaient auparavant connu le même sort le 25 août, alors qu'ils rentraient de Tobrouk, où ils ont couvert la cérémonie d'ouverture des travaux du Parlement. Le sort des sept journalistes est inconnu depuis près de huit mois, jusqu'aux dernières révélations survenues suite à l'arrestation près d'El Beïda d'un groupe de cinq membres d'Ansar Charia. Depuis avril dernier, les mauvaises nouvelles concernant le sort des journalistes ont circulé en Tunisie. Colère de la population Jeudi 1er mai, les premières versions des révélations des assassins commençaient à circuler avec insistance. «Un Egyptien, membre d'Ansar Charia, a reconnu l'assassinat de Soufiane et Nadhir», indiquait pour la première fois Touhami Abdouli, secrétaire d'Etat auprès du ministre des Affaires étrangères, devant les familles des journalistes, qui ont été également reçues par le chef du gouvernement, Habib Essid. Le consul général de Tunisie à Tripoli, Brahim Rezgui, a été dépêché à El Beïda pour voir plus clair. Le juge d'instruction tunisien, chargé de cette affaire, a été, également, envoyé dans cette localité pour entendre les révélations de l'Egyptien Abou Lachbel, qui a reconnu le kidnapping des deux journalistes tunisiens et relaté des faits sur leur assassinat à Derna une semaine plus tard par d'autres éléments du même groupe, les Tchadiens Ahmed et Abou Abdallah. C'est ce qui ressort du PV de l'interrogatoire de l'Egyptien, qui a également révélé que les cinq journalistes de l'équipe de Barqa TV ont été éliminés de la même manière une dizaine de jours plus tôt. La colère des Tunisiens est d'autant plus forte que les présidents des deux gouvernements libyens (Tobrouk et Tripoli) se sont engagés, il y a moins d'un mois, lors de leurs passages successifs à Tunis, à lever le voile sur cette disparition tragique, en indiquant toutefois que les deux journalistes se portaient bien. Le président du parti Al Watan, Abdelhakim Belhaj, connu pour ses liens historiques avec les terroristes, étant lui-même un ex-lieutenant d'Oussama Ben Laden et fondateur de la Jamaâ Moukatila en Libye, a, lui aussi, entretenu le flou sur le sort des journalistes tunisiens. Finalement, après de multiples spéculations de plusieurs parties tunisiennes et libyennes, il s'avère que les deux journalistes ont été assassinés et enterrés à Derna, une semaine après leur kidnapping. C'est du moins ce que reconnaît l'un des Egyptiens arrêtés à El Beïda. Car tout reste pour le moment dans le domaine de la parole, étayée toutefois par des aveux explicites. Les autorités tunisiennes ont envoyé en Libye, depuis samedi dernier, le juge d'instruction chargé du dossier. Ce dernier a été informé de l'affaire. Mais, jusqu'à hier, les Libyens ne lui avaient pas encore permis de rencontrer les présumés assassins. Les autorités tunisiennes réclament par ailleurs que les assassins soient jugés en Tunisie, en vertu des conventions signées entre les deux pays. Les Libyens n'ont pas encore examiné cette requête. Mais Ahmed Al Jamhour écarte cette éventualité. «Comme les victimes sont de trois nationalités (libyenne, tunisienne et égyptienne), le plus logique serait de les transférer devant la justice en Libye», explique-t-il. Encore faut-il qu'il y ait une justice dans ce pays en guerre, commentent les observateurs.