Il y a quelques mois, Mohamed Brahmi (50 ans), produisait plus de 200 litres de lait/j. Cet éleveur de la commune d'Afir, 70 km à l'est de Boumerdès, passait le plus gros de son temps à nourrir les vaches. Le visage ridé avant l'heure, ce père de trois filles et un enfant trisomique n'a jamais pensé qu'arrivera un jour où il sera contraint de confier son cheptel à ses proches et aux voisins en attendant de lui trouver acheteur. Chose qui est malheureusement survenue début janvier dernier à cause de la cherté de l'aliment de bétail et la «maffia» qui gravite autour de la filiale lait au niveau local. Des problèmes aggravés, selon lui, par «la hogra» dont il est victime de la part d'un propriétaire terrien qui lui a bloqué injustement l'accès à sa demeure et son étable. En janvier dernier, Mohamed avait 17 vaches, aujourd'hui il ne lui en reste que trois. «L'été dernier, j'en ai perdu deux à cause de la grippe aphteuse, mais on ne m'a remboursé que 27 000 DA pour chaque bête», maugrée-t-il. Le malheureux est l'unique garçon d'une fratrie de quatre membres. Il avait quitté l'école à l'âge de 12. Il devint ainsi éleveur, puis collecteur de lait depuis janvier 2014 après l'acquisition d'une Toyota équipée d'une citerne iso-thermique grâce à un crédit Ansej. Un crédit qu'il regrette d'avoir contracté, avouant qu'il est dans l'incapacité de le rembourser. «Auparavant, je produisais jusqu'à 200 litres de lait journellement. Aujourd'hui, je ne fais presque que de la collecte», fulmine-t-il avant de se plaindre du business qui caractérise la vente de l'aliment de bétail. Le prix d'une botte de paille est passé, selon lui, de 400 à 1500 DA cette année. Le maïs et le son, un produit dérivé du blé, sont quant à eux cédés entre 2800 à 3000 DA le quintal. Les minoteries vendent le son à 1500 DA/q, mais certaines trient les acheteurs selon leurs accointances et leur établissent des factures à 600 DA. Malgré ce trafic déguisé, Mohamed est resté très attaché à son job. Depuis février 2014, il faisait le tour de 37 éleveurs tous les matins pour collecter du lait et l'emmener à l'Onalait de Draâ Ben Khedda, dans la wilaya de Tizi Ouzou. Jeudi dernier, il avait récolté 608 litres. Lui, il achète ce produit de première nécessité à 34 DA/L. L'usine lui verse 5 DA pour chaque litre. Les producteurs, eux, attendent parfois 3 mois pour recevoir les 12 DA accordés par l'Etat via la BADR en guise de subvention pour les éleveurs. Outre la cherté de l'aliment, M. Brahmi affirme que l'Onalait avait refusé à maintes reprises de prendre sa marchandise. «Il m'est arrivé de perdre en une journée ce que j'ai gagné en un mois», a-t-il rappelé. Même la cuve qu'il a achetée à raison de 800 000 DA pour stocker son surplus de production ne lui sert pas à grand-chose après la fermeture de la piste desservant son étable par un propriétaire terrien. Ce dernier avait bloqué même le projet du gaz de ville, empêchant Mohamed et trois autres éleveurs d'emprunter les buissons et des pistes boueuses pour transporter de l'aliment à leurs bovins, a-t-on constaté sur place. Cette «hogra d'un autre âge» a déjà contraint M. Brahmi de céder 14 têtes de bovins à ses proches. «Je n'ai pas voulu les vendre parce que les prix du cheptel ont chuté de moitié ces derniers mois sur le marché», a-t-il expliqué avec amertume. Le concerné et ses semblables avaient même recouru récemment à la fermeture du siège de l'APC pour attirer l'attention des responsables sur leur calvaire, mais leur cri de détresse est loin d'avoir été entendu.