- Le Premier ministre reconnaît enfin la profondeur de la crise qui se révèlerait plus grave dans les années à venir si une réaction à la mesure du mal tardait à se mettre en place. Le retour à l'endettement à moyen terme n'est pas exclu. Les réserves de change risquent de chuter à moins de 10 milliards de dollars à l'horizon 2019. N'est-ce pas le scénario catastrophe contre lequel vous avez à maintes reprises averti ? Absolument, c'est l'iceberg annoncé par Nabni et par d'autres observateurs que nous allons percuter de plein fouet. L'impact sera plus fort encore si les prix s'écroulent davantage. Tant que nous restons aussi dépendants des recettes d'hydrocarbures fluctuantes, et que la mauvaise gouvernance qu'elles entretiennent perdure, nous demeurerons vulnérables et exposés à de graves difficultés. Ceci dit, c'est une bonne chose que le Premier ministre le reconnaisse. Cela fera avancer le débat. Notons toutefois que l'Exécutif a manqué de clairvoyance et d'anticipation… Ce qui complique les choses est que l'Algérie risque d'affronter cette crise annoncée avec des institutions amoindries et un affaiblissement de l'adhésion des parties prenantes qui ont démissionné pour certaines, envisagé un autre avenir pour d'autres… Les difficultés annoncées ne doivent surtout pas nous pousser au pessimisme. Il s'agit de mesurer l'ampleur de la tâche, de réfléchir collectivement à des scénarios vertueux et de mobiliser nos meilleures compétences pour cette tâche. - Lors d'une réunion au ministère de l'Energie, le Premier ministre demande à Sonatrach de consentir davantage d'efforts à même de pouvoir doubler les niveaux de production. Pour l'économie productive, M. Sellal s'est contenté d'annoncer quelques mesures. Ne pensez-vous pas qu'il y a un défaut de stratégie globale ? Nous n'avons pas accès aux informations qui pourraient fonder une telle «ambition» (doubler les capacités de production)… Dès 2011, le collectif Nabni, en écoutant les conseils des spécialistes algériens de l'énergie, a proposé de ne pas hypothéquer l'avenir du pays sur une seule politique de l'offre (sur laquelle nous avons peu d'emprise) et nous avons recommandé d'opter, de manière franche, pour une politique de rationalisation de la demande. Nous avons raté de nombreuses années, précieuses. Ne nous acharnons pas dans cette voie. Les réactions, jusqu'à présent, ne sont ni à la hauteur de l'ampleur de la baisse de nos recettes d'exportations induite par la chute des prix du pétrole et des quantités produites, ni à celle de la crise structurelle de notre modèle socioéconomique rentier. Il est clair que le pays manque de feuille de route à moyen et long termes. C'est ce que nous avons proposé avec le rapport Nabni 2020. Nous nous offrons à publier, dans quelques jours, une série de propositions sous la forme d'un plan d'action à court terme qui proposera des solutions visant à éviter le scénario du pire et transformer notre économie rentière en économie prospère. Les mesures consistant à juguler les importations par des instruments inadaptés, telles les licences d'importation ou les incitations fiscales à la production nationale – redondantes avec l'existant et non accompagnées de réformes de fond du climat des affaires – ne sont pas à même de mettre le pays sur une meilleure trajectoire de développement. - Autrement, quelles sont, selon vous, les cures substitutives, voire les priorités immédiates auxquelles le gouvernement doit s'astreindre en ces temps de crise ? A ce titre, Nabni proposera début juin un plan d'action à court terme pour sortir le pays de la crise actuelle et impulser un changement de voie durable. Il ne s'agit pas d'agir dans l'urgence et la précipitation suite à la chute – probablement durable – des prix du pétrole ni de prendre des mesures à court terme afin de remédier aux symptômes de cette baisse durable de nos recettes d'exportation. Il ne s'agit pas non plus d'entamer un plan d'austérité et de freiner les investissements et projets de développement de notre économie. Il s'agit au contraire de commencer à mettre en place les premiers jalons d'un changement de voie durable, qui ne soient pas une réponse à un choc budgétaire conjoncturel mais l'entame des virages structurants que l'Algérie doit engager urgemment. Il s'agit de mobiliser l'Etat, l'administration et la société civile autour d'un plan cohérent, ambitieux et réaliste, qui indique le nouveau cap que doit prendre le pays et marque de vraies ruptures.