Le procès El Khalifa Bank boucle son mois avec l'audition des parties civiles. Une longue liste de sociétés publiques et de citoyens anonymes se sont succédé à la barre pour faire état des montants colossaux qu'ils n'ont pu récupérer. Hier, le tribunal criminel de Blida s'est attelé, durant toute la journée, à entendre une longue liste de parties civiles (132), en majorité des sociétés publiques, mais aussi de simples citoyens qui ont perdu des centaines de millions de dinars confiés à El Khalifa Bank pour bénéficier des taux d'intérêt attractifs, mais aussi, disent-ils, du bon accueil et des prestations bancaires de qualité. L'audition la plus troublante a été celle de Omar Abed, commerçant de son état, qui s'est constitué en son nom et au nom d'une dizaine de déposants, dont des membres de sa famille, en tant que partie civile. D'emblée, il affirme avoir tenu une assemblée générale pour la création d'une association des victimes de Khalifa, mais le ministère de l'Intérieur refuse de lui remettre l'agrément. «J'ai obtenu l'agrément en France, mais pas en Algérie, alors que l'association existe en Belgique, aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne et en Malaisie», dit-il. Le juge lui demande de parler de son cas. Omar Abed affirme avoir perdu 290 000 DA et 250 euros, qu'il reconnaît par la suite avoir récupérés auprès du liquidateur, «mais mon épouse avait 10 000 livres sterling qu'elle n'a pas pu récupérer. Je veux les reprendre. C'est mon argent». Il accuse : «La Banque d'Algérie est la seule responsable. Elle doit assumer ses responsabilités en tant qu'autorité de contrôle. J'ai déposé mon argent dans une banque, pas chez Abdelmoumen Khalifa. Je veux poursuivre la Banque d'Algérie et non El Khalifa Bank.» Le juge le rappelle à l'ordre : «Il y a des procédures à respecter. Vous n'avez pas besoin de faire de la politique. Ici c'est un tribunal. Parlez avec respect…» Abed se calme et continue : «La Banque d'Algérie aurait dû faire son travail. Rendez-nous notre argent. J'ai failli commettre un crime si ce n'était pas un employé d'El Khalifa Bank, M. Naouch, qui m'a aidé. Nous étions huit à avoir fait une grève de la faim pendant 15 jours et M. Badsi nous a affirmé qu'une réunion interministérielle s'était tenue, à l'issue de laquelle la décision de régler le problème des déposants a été prise. Quelque temps après, il est revenu pour nous dire que le chef du gouvernement l'avait trahi (…) Nous avions fait des propositions de rachat de la banque pour rembourser les déposants, mais rien…» Une déclaration surprenante lorsque l'on sait que le même Abed avait, lors du procès de 2007, qualifié Abdelmoumen Khalifa d'«escroc» et accusé sa banque d'avoir volé ses clients. Il avait fait un véritable réquisitoire contre El Khalifa Bank et son PDG, alors qu'hier, il s'est présenté comme leur défenseur attitré. «C'est une des meilleurs banques, qui m'a permis d'ouvrir un compte en devises alors que les banques publiques m'avaient refusé ce droit. L'accueil était extraordinaire. Khalifa a rendu service aux clients», déclare Abed. Le juge l'interrompt pour lui rappeler qu'il n'est pas le seul à avoir perdu de l'argent : «Vous avez récupéré votre argent et votre épouse a eu une grande partie de la somme déposée alors que des sociétés ont tout perdu…» Abed : «J'avais des livres sterling, pourquoi me donnent-ils des dinars ?» «Je ne suis pas contre El Khalifa Bank, mais contre la banque d'Algérie» Maître Meziane lui demande s'il a été remboursé, Abed déclare avoir obtenu le remboursement de tout son argent, mais il ajoute : «J'étais en instance de divorce et j'avais besoin de cet argent. Je n'avais même pas de quoi acheter un litre de lait pour mon fils…» Le juge : «Vous avez obtenu votre argent…» Abed : «Oui, mais je veux l'argent de mon épouse, c'est aussi le mien…» Me Meziane l'interroge sur l'association qu'il dirige en France. Abed : «Cette association a été créée en France pour attaquer en justice la Banque d'Algérie et non pas El Khalifa Bank.» Me Meziane : «Pour la liquidation, Abed a été payé. Il ne nous nous doit rien.» Le procureur général l'interroge sur les procurations qu'il a présentées pour parler au nom d'une dizaine de déposants : «Etes-vous allé à Mostaganem ?» Abed : «Non, je n'y suis pas allé…» Une réponse qui fait sursauter le procureur général, qui lui demande : «Comment pouvez-vous signer sans être présent ?» Abed se ressaisit : «Je crois que j'y ai été. Je ne me rappelle pas…» Mais il est incapable de citer les adresses des notaires chez lesquels il a signé les procurations. Il dit avoir oublié parce que «cela remonte à loin». Le procureur général : «Vous dites ici que vous n'avez jamais entendu parler de taux d'intérêt aussi élevés que lors de ce procès, alors que vous aviez déclaré au juge d'instruction qu'El Khalifa Bank attirait les déposants en leur faisant miroiter des taux d'intérêt très élevés.» Abed ne dit mot. Le magistrat lui demande à quel taux il a placé son argent et Abed lâche : «7%.» «Vous êtes le premier qui vient à cette barre pour parler d'un taux de 7%», réplique le procureur général. Abed est déstabilisé et jure que «c'est le vrai taux». Maître Lezzar, avocat de Abdelmoumen Khalifa : «Si vous avez obtenu tout votre argent, que faites-vous ici ?» Abed : «Je veux récupérer l'argent de ma femme qui est le mien, mais aussi celui des autres déposants qui m'ont constitué.» Me Lezzar : «Puisque vous représentez une association agréée en France, pourquoi ne vous êtes-vous pas constitué devant le tribunal de Nanterre contre El Khalifa Bank ?» Abed : «Nous ne sommes pas contre El Khalifa Bank mais contre la Banque d'Algérie. De plus il faut attendre que cette affaire soit jugée définitivement.» Non convaincu de la réponse, Me Lezzar revient à la charge et Abed répond : «Je suis ici parce que j'ai reçu une convocation. Par respect pour le tribunal, je suis ici.» La déclaration surprend l'assistance. Le juge appelle Rachid Maouch, un particulier qui a effectué des dépôts à terme de 3 ans à un taux de 5% puis de 6 mois pour 7%. Le montant — 5 millions — arrivait à échéance au mois de mars 2003, mais il n'y avait pas d'argent. Le juge lui fait remarquer que le taux n'était pas aussi intéressant que celui des banques publiques et Maouch répond : «Ce qui m'a poussé à aller à Khalifa Bank, ce sont les prestations de service. Ils étaient professionnels et très rapides.» Le juge : «Même avec le mauvais accueil, au bout du chemin vous récupérez votre capital…» Maouch : «Pour moi c'est une banque algérienne mise sous le contrôle de la Banque d'Algérie. Je me sentais protégé par une institution d'Etat. Depuis, je fuis toutes les banques privées.» Le procureur général : «Qu'aviez-vous déposé ?» Maouch : «Des bons de caisse anonymes.» Le procureur général : «Pourquoi vous évitez de dire la vérité ? Pourquoi n'avoir pas dit qu'il s'agissait de bons de caisse, raison pour laquelle le taux est inférieur à celui des dépôts à terme ? Vous êtes représenté par Abed Omar, qui lui aussi n'a pas évoqué les bons de caisse, alors que ceux qu'il représente ont déposé des bons de caisse anonymes ? Pourquoi des bons de caisse anonymes ?» Maouch : «C'est un choix. Il y a des gens qui les achètent. C'est permis par la loi…» Le procureur général : «Il y a des gens qui les achètent pour éviter les impôts. Mais ce n'est plus le cas aujourd'hui. Même sur un bon de caisse anonyme, vous êtes obligé de mentionner votre nom…» Me Lezzar : «Pourquoi avoir responsabilisé la Banque d'Algérie ?» Maouch : «Parce qu'elle est l'institution qui devait assurer le contrôle des banques. Je n'ai rien senti, d'ailleurs j'ai attendu 2002 pour aller faire mes dépôts.» Le juge : «Mais la Banque d'Algérie contrôle aussi les banques publiques, et l'une d'elles pourrait avoir le même problème.» Maouch : «Je ne veux plus entendre parler des banques privées. Je suis vacciné !» Le procureur général revient à la charge et demande à Maouch ce qu'il fait. «Je suis pharmacien», dit-il. Les milliards de dinars des OPGI placés à El Khalifa Bank perdus à tout jamais Le procureur général : «Vous connaissez alors Abdelmoumen Khalifa ?» Maouch : «J'étais distributeur de médicaments. J'achetais auprès de son usine.» «Vous avez placé vos bons de caisses anonymes à El Khalifa Bank, parce que connaissez assez bien Abdelmoumen. Pourquoi ne dites-vous pas la vérité ? Vous êtes ici en tant que partie civile. Qu'avez-vous à craindre ?» lance le procureur général. Abdelkader Bennacer est un militaire à la retraite qui jurait, juste avant l'audience, de malmener Abdelmoumen Khalifa, un «ancien ami», dit-il, qui lui a «volé» son argent. A la barre, ses déclarations changent totalement. Il dit avoir déposé 1,62 million de dinars, un prêt social obtenu auprès de l'armée pour achever la construction de sa maison. Il avait besoin d'un compte bancaire rapidement et un ami qui exerçait à l'agence El Khalifa Bank d'El Djazaïr, lui a fait le nécessaire en quelques minutes. Malheureusement, tout son argent a été perdu. Il n'a pu se faire rembourser que 700 000 DA. Ce qui, dit-il, lui a causé des problèmes familiaux, en raison de la situation difficile dans laquelle il s'est retrouvé. et s'attaque au liquidateur qui, selon lui, n'a pas voulu le rembourser en dépit des chèques qu'il avait déposés. Abdelkader Bennacer cède la barre au représentant de l'OPGI d'Oum El Bouaghi. Dès 1999, l'Office a placé 28 millions de dinars à l'agence de… Blida, qu'il n'a pu récupérer. Au procureur général, le représentant de l'OPGI affirme que c'est le directeur de l'agence, Belaid Kechad, qui est venu avec deux autres cadres de la banque qu'il ne connaît pas pour négocier la convention et la signer. Naoui Hamza, représentant des Moulins des Bibans de Bordj Bou Arréridj, une filiale de l'Eriad, affirme que l'entreprise a placé 100 millions de dinars, mais n'a pu récupérer que 5% du montant remboursé par le liquidateur. Said Boubeker, représentant de l'OPGI de Djelfa, déclare que l'Office a placé 230 millions de dinars en deux parties, mais a perdu les 100 millions déposés en mars… 2003 alors que l'administrateur était déjà installé. Anissa Naouri, liquidatrice du Groupe boissons d'Algérie (GBA), est présente en tant que représentante de ce groupe qui a placé 180 millions de dinars mais n'a perdu que 16 millions de dinars, alors que nombre de ses unités n'ont pu récupérer les 628 millions de dinars qu'elles avaient placés. Atika Djellil, représentante de l'OPGI de Aïn Témouchent, a affirmé que l'Office a déposé 15 millions de dinars en deux tranches dont la première a été effectuée le 1er mais 2001 à Oran. La somme n'a malheureusement pas été restituée. Maître Khadidja Meslem, qui représente l'Entreprise nationale des services aux puits (ENSP), une filiale de Sonatrach dont le siège est à Hassi Messaoud, indique que la société a perdu les 500 millions de dinars, placés par le PDG, sans résolution du conseil d'administration, à un taux d'intérêt de 10%, puis de 9,5%. Ce placement a généré, d'après elle, un gain de 20,2 millions de dinars, mais le capital de 500 millions de dinars a été perdu. Sahraoui Bouhali, représentant de l'OPGI de Ouargla, affirme que l'office a placé à l'agence de Chéraga 450 millions de dinars, mais seulement 5% de ce montant ont été remboursés par le liquidateur. Hamid Zeknoun, de l'OPGIde Bouira, affirme que l'Office a déposé, en 2002, 150 millions de dinars, dont 5% seulement ont été récupérés au niveau de la liquidation. Il souligné que la convention de placement a été signée par Kechad Belaid, directeur de l'agence de Blida. Le procureur général demande au président la permission d'interroger l'accusé Belaid Kechad, sur le fait qu'il signe une convention de placement à Bouira. Du fond du box, Kechad répond : «A l'époque, il n'y avait pas de directeur d'agence à Bouira. J'ai signé en tant que représentant de la banque.» Houssem Bouguerra, représentant de l'OPGI de Sétif, semble totalement perdu et désemparé. Licencié en droit, il ne sait rien du dossier. «On m'a envoyé parce que le chargé du juridique est absent. Je n'ai pas consulté le dossier», explique-t-il. Le juge tente quand même de lui soutirer des informations. Il affirme que l'office a placé 740 millions de dinars, mais il dit ignorer les détails des conventions y afférentes, précisant néanmoins que le montant n'a pas été récupéré. Mohamed Fahem, représentant de l'OPGI de Mostaganem, déclare que les placements de sa structure ont atteint 200 millions de dinars devant générer 10% d'intérêt. Malheureusement, dit-il, ni le capital ni les intérêts n'ont pu être repris, en raison de l'indisponibilité des fonds à l'agence de Mostaganem. Aujourd'hui, le tribunal entendra le liquidateur Moncef Badsi, alors que samedi prochain, l'audience sera consacrée aux plaidoiries des parties civiles et probablement au réquisitoire du parquet général.