Le procès El Khalifa Bank entame sa 3e semaine avec l'audition des responsables des sociétés ayant effectué de gros placements, perdus à jamais. Hier, tour à tour, les dirigeants des fonds sociaux, comme la Caisse des retraites et la Caisse de chômage ainsi que des filiales de Sonatrach ont eu du mal à expliquer, devant le tribunal criminel de Blida, la facilité avec laquelle leur trésorerie a été confiée à cette banque. Poursuivi pour les faits de corruption, de trafic d'influence et de perception d'indus cadeaux, Abdelaâli Meziani, secrétaire national de l'UGTA, chargé de l'administration générale, puis président du conseil d'administration de la Caisse nationale des retraites (CNR), qui compte 29 membres, et de son bureau, composé de 7 membres, affirme qu'au mois de mai 2001, s'est tenue la réunion du bureau, en l'absence d'un seul membre. A l'ordre du jour, trois points liés à la finance et un autre dénommé «Divers». Le financier Kerrar avait proposé de placer l'argent de la caisse chez El Khalifa Bank, arguant du fait qu'elle accordait des taux d'intérêt attractifs. «S'agissant d'une banque privée, nous avions exigé des garanties. Mais cinq jours après, la convention de placement était déjà signée par le directeur général de la CNR, qui était Salah Arifi.» Le juge : «Aviez-vous informé la tutelle ? » L'accusé : «Je pense que cela avait été fait. Ce n'était pas à l'époque de Bouguerra Soltani, mais de Abdelmoumène... Je ne me rappelle plus de son nom.» Concernant le montant total déposé, l'accusé dit n'avoir aucune idée, parce que l'information lui échappait à l'époque. «Je sais qu'il restait 4 milliards de dinars. Mais il faut savoir que 6 mois après la convention, nous avions décidé de retirer l'argent. Le financier Kerrar a encaissé 8 milliards de dinars. Et nous ne savons pas pourquoi il n'avait pas retiré les 12 millions de dinars perdus.» Le juge : «Vous aviez déclaré que la réunion devait se tenir en présence de tous les membres et que les garanties devaient être réunies...» L'accusé : «C'est vrai, mais la convention a été signée 5 jours après.» Le juge semble ne pas comprendre pourquoi la Caisse avait placé son argent chez El Khalifa Bank, pour que quelque temps après, elle décide de le retirer. «C'est le conseil d'administration qui l'avait exigé, d'autant plus que le dépôt venait à échéance, vers la fin de décembre 2002.» En ce qui concerne les avantages, l'accusé affirme avoir bénéficié de billets pour voyager qui n'étaient pas gratuits, dans la mesure où il devait débourser une partie de la somme. Cependant, il indique avoir utilisé ces billets pour lui et des membres de sa famille, et il les a totalement remboursés au liquidateur. Interrogé sur la formation de pilote dont son fils a bénéficié. «Il a réussi dans son cursus, en Espagne et en Grande-Bretagne, puis il est parti en Jordanie», dit-il avant d'être interrompu par le juge : «C'est le ministère des Transports qui a pris en charge la fin de ses études. N'est-ce pas parce que vous étiez à la CNR que votre fils a été retenu ?» L'accusé : «Jamais ! Il est parti seul.» Le juge : «Est-ce que l'UGTA a placé des fonds ?» «Elle a déposé 80 millions de dinars et toutes les unions de wilaya ont chacune déposé leur argent, à part», explique-t-il. Le juge l'interroge sur les garanties, et l'accusé répond : «C'est au directeur général et au directeur financier que vous devez le demander, pas à moi.» Il explique que le bureau du CA n'a fait qu'émettre un avis, sans pour autant donner une réponse quant au fait que les 40 millions de dinars sont restés à la banque Khalifa, en dépit de la fin de l'échéance. Le procureur général rappelle à l'accusé qu'il était chargé des finances au niveau de l'UGTA, lorsque les 8,5 milliards de dinars ont été déposés chez El Khalifa Bank et l'accusé précise : «Oui, j'ai signé et après je suis parti à la CNR.» Pour le procureur général, il y a nécessairement un lien entre l'accusé et Jedidi de l'agence CNR d'Oum El Bouaghi, qui avait déposé l'argent de cette agence à la banque Khalifa, mais l'accusé conteste : «Le fait que cette agence est à Oum El Bouaghi, ma région natale est une coïncidence.» Le procureur général précise à l'accusé, qu'un des membres du CA, décédé en 2012, M Kadiri, avait affirmé que le procès-verbal ayant validé ces dépôts, avait été falsifié, puisque la question des dépôts avait été ajoutée après. L'accusé : «Qui l'a empêché de faire opposition ?» Le juge : «Pourquoi avoir tenu une réunion avec célérité ?» L'accusé cite ceux qui ont placé l'argent 5 jours après sans attendre les garanties et affirme ne pas être au courant du contenu de la convention avec El Khalifa Bank, ajoutant avoir, cependant, entendu parler d'un taux d'intérêt de 10%. Pour lui, c'est au financier d'expliquer pourquoi ce taux n'a pas changé au cours des placements. Il déclare qu'au mois de mai 2003, le CA avait pris acte, dans une résolution, du fait que la CNR n'avait pas pu récupérer le montant de 4 milliards de dinars, qui arrivait à terme le 15 décembre 2002. Les 2 milliards de dinars volatilisés Le juge appelle Mehrez Aït Belkacem, directeur général de la Caisse nationale de chômage et du fonds de garantie des microcrédits. Il revient sur les circonstances de la création de ces organismes, dont il avait la charge durant la période de restructuration, vers 1997, avant que le juge ne le ramène aux faits. Il affirme que la CNR avait dans les banques publiques un placement de 64 milliards de dinars, qui lui permettait d'avoir une rémunération assez conséquente au moment où les mêmes banques manquaient de liquidités. Mais la situation, précise-t-il, avait changé au début de l'an 2000. Les taux d'intérêt des banques publiques ont chuté de 24% à 6 et à 5%. «En ma qualité de directeur général, j'ai proposé d'investir nos fonds dans l'immobilier et le foncier, mais le CA, présidé par le secrétaire général de l'UGTA, a refusé tout comme de nombreux membres. Ils m'ont dit qu'il y a des banques privées sur le terrain avec lesquelles nous pouvons négocier. Ils m'ont demandé de voir avec elles. A Khalifa Bank, nous avions placé une somme de 1,30 milliard de dinars, sur les 63 milliards de dinars, que nous avions, avec un taux de 11,25%. Le dépôt s'est fait en quatre étapes. J'ai saisi le ministère du Travail et de la Sécurité sociale sur l'offre de Khalifa mais il n'y a pas eu de réponse. Ce qui veut dire qu'il était d'accord. Pour ce qui est de la caisse de garantie des microcrédits, le montant à placer a été partagé entre la BNA et El Khalifa Bank.» Le juge : «Vous n'aviez pas exigé des garanties...» L'accusé : «Les garanties sont consacrées par la Banque d'Algérie et la commission bancaire.» Le juge : «Pourquoi il n'y a pas eu cela chez les banques publiques ?» L'accusé : «Nos placements chez les banques privées, toutes, n'ont pas connu de problème. Nous recevions nos intérêts. Le placement était une obligation dans la mesure, où il empêche l'inflation.» Le juge lui demande quel est le montant placé par la CNR et l'accusé répond : «1,5 milliard de dinars. Expliquant que les microcrédit faisaient partie des risques encourus par les banques, qui toutes refusaient de les financer. Le gouvernement avait ordonné l'affectation d'un milliard de dinars à ce fonds et la décision de les placer chez El Khalifa Bank a été prise à condition que cette banque participe au financement de ces microcrédits.» Le juge l'interroge sur le montant déposé par le fonds de garantie des microcrédits, et l'accusé répond : «500 à 600 millions de dinars.» A propos de la formation de pilote, dont son fils aurait bénéficié auprès de Khalifa Airways, l'accusé lance : «Je suis poursuivi pour corruption mais ne me prenez pas pour un idiot, parce qu'avec autant d'argent placé, j'aurais demandé autre chose. Mon fils a été retenu pour ses compétences, il a fait ses études en Espagne, puis en Grande-Bretagne et en Jordanie. Il est resté deux ans sans emploi avant de rejoindre Tassili Airlines.» Le juge : «Et la carte de thalasso ?» L'accusé : «Je l'ai jetée.» Le juge : «Et comment votre photo est-elle collée dessus ?» L'accusé : «Mes photos sont nombreuses dans mon dossier. Je n'ai jamais demandé cette carte. Et je ne l'ai pas utilisée pour la simple raison que l'endroit est répulsif pour son manque d'hygiène.» Le procureur général : «Pourquoi avoir choisi l'agence d'El Harrach ?» L'accusé : «Le premier a été fait à l'agence du St Georges et les autres là-bas.» Le PG : «J'ai ici onze conventions avec l'agence d'El Harrach, dirigé par Azziz Djamel.» L'accusé : «Moi j'ai signé avec la banque, l'agence importe peu, cela regarde les responsables de Khalifa Bank. C'est une décision interne.» Le procureur général lui demande pourquoi pour les 11 conventions que l'accusé a signées, le taux d'intérêt a été fixe, et que la dernière convention de renouvellement de placement d'un montant de 1,8 milliard de dinars de la Cnac a été signée au mois de février 2003, alors que la banque était en pleine déconfiture. L'accusé semble un peu étonné. Il nie et le procureur général précise que la convention est entre ses mains. L'accusé : «Nous ignorions cela… » 12 millions de dollars que l'Enageo n'a pu récupérer Boulefrad Bouabdellah, directeur général de la société de boisson gazeuse et alcoolisée d'Oran, explique que la société avait pour habitude de placer ses fonds dans les banques publiques, qui offraient des taux d'intérêt assez attractifs jusqu'à la fin des années 1990. Mais, ajoute-t-il, la baisse de ces taux a poussé l'entreprise à aller chercher d'autres banques et le choix d'El Khalifa Bank a été retenu pour déposer, de 2000 jusqu'à 2002, un montant global de 310 millions de dinars «Durant cette période, tout se passait bien. Nous avions récupéré nos intérêts.» Le magistrat demande à l'accusé comment la société est-elle partie chez El Khalifa Bank. «Au niveau du groupe GBA, dont nous dépendions, nous avions un problème d'escompte avec les banques publiques. En discutant avec les collègues, ils m'ont expliqué qu'ils avaient réglé le problème en ouvrant des comptes à la banque Khalifa. J'étais le dernier responsable à l'avoir fait. Durant la même période, les taux d'intérêt que nous accordait la Badr étaient de 7,5%, alors que Khalifa Bank, nous a proposé un taux plus attractif. Nous avions saisi M. Benrabah, directeur d'El Khalifa Bank Oran pour discuter de la procédure. Le montant de 310 millions de dinars a été placé en deux étapes, avec un taux d'intérêt de 10,5 puis de 11%.» Le juge interroge l'accusé sur les avantages qui lui déclare : «Rien du tout.» Mais le juge insiste : «Il y a une commission que le directeur de l'agence El Khalifa Bank affirme vous avoir donnée.» L'accusé nie catégoriquement. Le juge : «Vous aviez déclaré que le défunt Thabet avait de bonnes relations avec Guers Hakim et qu'il se pourrait que ces commissions aient été prises par lui.» L'accusé : «Que Dieu me pardonne. Lorsque le juge m'en a parlé à cette époque, j'ai pensé que peut être M. Thabet, qui connaissait Guers, les a prises. Mais après, j'ai vu les dates. Comment peut-on prendre des commissions en février 2003, alors que la banque était déjà en pleine déconfiture ?» Pour ce qui est des billets d'avion gratuits, l'accusé explique que cela entrait dans le cadre des cartes de fidélité. La société a eu deux billets gratuits, dit-il, utilisés par deux cadres de l'entreprise, dans un cadre professionnel. Juste après lui, Noreddine Boucenna, directeur des finances de l'Opgi d'Oran passe à la barre. Il affirme que l'Office a de tout temps placé son argent dans les banques publiques avec un taux d'intérêt de 6,5%. En 2001, El Khalifa Bank lui a proposé un taux de 12%, et le directeur de l'OPGi a accepté. «Il a négocié avec Guers Hakim et une convention a été signée. Les placements d'une durée de 3 mois renouvelables se sont faits, en quatre parties et ont atteint le milliard de dinars. Nous avions encaissé juste les intérêts, de 100,8 millions de dinars. Le reste n'a pas été restitué.» L'accusé nie avoir perçu des commissions en contrepartie de ces dépôts, et affirme que l'Office avait exigé un retrait par anticipation, malgré cela, l'argent n'a pu être récupéré. Le procureur général lui demande : «Qui vous a fait l'offre de 12% d'intérêt ?» L'accusé : «Hakim Guers, Belaïd Kechad et Ighil Meziane Ali. Ils ont été reçus par le directeur général de l'Office, lequel a signé la convention.» Réda Rahal, directeur général de l'Enageo, filiale de Sonatrach, explique que les placements de l'entreprise s'effectuaient à la Bna, la Bea, et Cytibank et chacune avait un taux d'intérêt. Avec El Khalifa Bank, 300 millions de dinars et 10 millions de dollars. Les dinars sont rentrés, arrivés à terme, mais les autres non. «Nous sommes une société publique de géophysique et depuis longtemps nous fructifions nos rentrées…» Le juge : «Qui a décidé du placement à Khalifa Bank ?» L'accusé : «Cela rentre dans mes prérogatives. Je n'avais pas besoin de l'accord du CA. Il y avait de la publicité autour de cette banque, nous nous sommes dits pourquoi ne pas voir ce qu'elle propose ? Une délégation de Khalifa Bank (composée du vice-président Amalou et Chikharou le chef d'agence de Hassi Messaoud) est venue nous voir à Hassi Messaoud. Ces cadres nous ont convaincus. La première somme placée était de 300 millions de dinars. Notre condition est qu'à chaque fois qu'un placement arrive à terme, le capital et les intérêts sont retirés. En juin 2002, nous avions déposé 10 millions de dollars, qui étaient à Citybank, pour un taux d'intérêt de 4,55%.» Concernant les billets d'avion, l'accusé déclare : «Je les ai utilisés une vingtaine de fois pour l'intérieur du pays et une fois pour l'étranger avec mon épouse.» Le juge : «Vous n'aviez pas tenté de retirer les 10 millions de dollars ?» L'accusé : «Le dépôt venait à terme au mois de décembre 2002. Nous avions tenu une réunion avec les responsables d'El Khalifa Bank à Alger parce que le directeur de Hassi Messaoud ne pouvait pas le faire. Nous avions constaté un climat de tension. Ils nous ont parlé de la suspension des opérations en devises. C'était juste après le communiqué d'El Khalifa Bank paru dans la presse, disant que la situation allait se régler. Nous avions écrit à l'administrateur, mais il ne nous a pas répondu.» Le procureur général : «Comment le groupe Sonatrach, qui est la société mère, n'avait pas déposé et vous, vous l'avez fait ?» L'accusé : «C'est très grave. Comment se fait-il que les responsables ne nous aient pas informé ?»