L'histoire de 1962 à aujourd'hui nous enseigne qu'à chaque fois que l'armée a été entraînée dans des jeux politiques, c'est pour cautionner des dérives autoritaires. Fort de l'appui de l'état-major, alors tout-puissant, Ben Bella a installé un pouvoir personnel que Boumediène finit par renverser mais en lui substituant un régime dictatorial encore plus musclé, aidé en cela par l'institution militaire sur laquelle il avait une totale mainmise, notamment sa branche Renseignements. Chadli ne dérogea pas à la règle, assumant le risque redoutable d'entraîner l'ANP dans une grave aventure : le 8 octobre 1988, elle tira sur la population qui contestait la déliquescence du pouvoir politique. C'est une tache noire qui a commencé quelque peu à s'effacer avant que Bouteflika ne décide, dès son intronisation, d'affaiblir l'armée : il dégomma les officiers ayant joué un rôle historique contre lui, ceux qui se sont opposés à sa succession à Boumediène. Dans la foulée, il évinça ceux qu il ne considère pas comme totalement acquis. Le vice-ministre actuel du MDN, Gaïd Salah, est un des plus zélés auquel a été dévolu le rôle de parler au nom de toute l'institution pour défendre un clan du FLN par rapport à un autre, évidemment le clan porté par Amar Saadani. Au regard donc de l'histoire, la plupart des anciens Présidents ont commis un crime contre la nation : ils ont dérogé à la règle constitutionnelle sur la neutralité de l'armée, accompagnant cette mise au pas de l'institution militaire par l'instrumentalisation du sigle FLN hérité de la guerre de libération et pour lequel sont morts un million et demi d'Algériens. Devenu, au fil des ans, un appareil de propagande et de répression des plus sophistiqués, le FLN a couvert le pays d'une lourde chape de plomb. Si Octobre 1988 le remis en cause de manière sanglante, le multipartisme le chassa des sphères du pouvoir. La décennie 1990 fut le seul moment où l'armée retrouva sa vocation en s'opposant frontalement au projet intégriste de destruction de l'Etat républicain et en refusant de s'impliquer dans les jeux politiques permis par le multipartisme. Bouteflika ressuscita le FLN et le rendit à sa «vocation» de l'après-indépendance : un parti au service du régime en place en contrepartie – et cela tous les anciens Présidents l'ont compris – de largesses matérielles, de postes gouvernementaux et de l'illusion de détenir une parcelle du pouvoir. Fondamentalement, c'est l'instrumentalisation des deux sigles majeurs de l'ANP et du FLN qui a participé à affaiblir l'Algérie au plan de sa construction démocratique. Alors que le premier aurait dû être placé dans un musée (de la Révolution), le second ne pouvait avoir sa place que dans les casernes, loin des travées de la politique. C'est d'autant plus vital, aujourd'hui, que l'armée a de lourdes tâches de défense du territoire et de la population, menacés par les infiltrations de groupes terroristes, de pratiquement toutes les frontières. Affaiblir aujourd'hui l'armée en l'impliquant dans les guerres politiques de clans, c'est faire le jeu non seulement des terroristes, mais également des forces politiques internes qui freinent les initiatives en faveur d'un changement démocratique. Celui-ci passe par la fin du système politique actuel, source de tous les malheurs du pays et de son retard considérable dans tous les domaines.