C'est le temps de la moisson et ce n'est pas forcément celui qui a semé qui récoltera. Dans le secteur de l'éducation, le temps des conseils de classe de fin d'année est un moment particulier où tous les coups sont permis. Le marchandage des notes est légion et rien n'arrête les corrompus et les corrupteurs. Si d'aucuns ne doutent pas de la volonté de Mme Nouria Benghebrit de donner un véritable coup de balai dans le secteur de l'éducation, elle devrait préalablement moraliser la profession, gangrenée depuis un certain temps par le fléau de l'argent, avec des enseignants très «disponibles» qui ne refusent pas de cadeaux et des parents disposés à casquer pour acheter des notes. Un marché à huis clos duquel les associations de parents d'élèves sont exclues. A part de rares chefs d'établissement qui «invitent à titre purement amical un représentant de l'association des parents d'élèves de son établissement à assister au conseil de classe, ce droit, consigné dans les textes de loi, nous est retiré. Les décideurs de l'éducation ont exclu les parents d'élèves des conseil de classe, de coordination et celui de l'enseignement», relève Hocine Bouanane, président de l'association des parents d'élèves du lycée Rédha Houhou de Constantine. En clair, en dépit de la loi en vigueur, les associations des parents d'élèves sont spoliées de leur droit d'assister aux conseils de l'éducation, notamment le conseil des classes. «La loi n°08-04 du 23 janvier 2008 du président Bouteflika portant loi d'orientation sur l'éducation nationale est pourtant très claire à ce sujet. La loi accorde ce droit aux parents d'élèves à travers leurs représentants, mais le problème réside dans le pouvoir exécutif. Cette loi est aujourd'hui piétinée, car la tutelle est défaillante». Notre interlocuteur trouve la non-application de la loi de 2008 regrettable, car pour ce président d'association, «Bouteflika a donné du poids aux parents d'élèves, mais sur le terrain il n'y a pas eu d'application de cette loi et cela ouvre droit à toutes sorte de magouilles et de dérives». Des récompenses En nature Partant, l'absence des parents d'élèves au sein des conseils de classe se traduit par pas mal de «magouilles», qui n'honorent pas, nous dit-on, la profession d'éducateur. «Bon nombre d'enseignants reçoivent des cadeaux en nature pour rehausser les notes de leurs enfants, même si cela doit se faire aux dépens d'autres élèves qui ont obtenu leurs résultats à la sueur de leur front. Les parents aisés ou qui possèdent un commerce sont ceux qui offrent le plus de gratifications aux enseignants qui marchandent les notes», assure un adjoint de l'éducation exerçant dans un CEM. «Et quand il arrive que des parents viennent se plaindre en découvrant le pot aux roses, on leur demande de faire un recours et de le déposer au niveau de l'administration. Malheureusement, leur recours n'aura pas de suite, puisqu'il n'est pas pris en compte, et sera, encore moins, transmis à la direction de l'éducation pour la simple raison que les falsifications de notes ou de moyennes se font parfois avec la complicité du chef d'établissement. De plus, certains directeurs préfèrent généralement étouffer l'affaire pour éviter la mauvaise publicité que cela leur ferait auprès de la tutelle», ajoute-il. L'éducation étant un secteur névralgique, il n'est pas aisé, en effet, de dénoncer et confondre les auteurs de ces pratiques ainsi que les récipiendaires de cadeaux et de diverses largesses en nature contre des notes gonflées. C'est ce que déplorent de nombreux parents qui se plaignent de ce qui est en passe de devenir un véritable phénomène sans que cela fasse ciller la tutelle. Si la «vente» des notes n'est un secret pour personne, pour quelle raison le ministère de l'Education ne fait rien pour mettre un terme à ces pratiques peu flatteuses pour des prétendus éducateurs des nouvelles générations et sanctionner, si preuve en est faite, les enseignants corrompus ? «Corruption indirecte» Pour bon nombre de parents, ces tractations de coulisses répréhensibles ont souvent pour théâtre le conseil de classe, d'autant qu'ils ne sont pas autorisés à y assister ! «A travers le monde, les parents et même les élèves sont membres à part entière du conseil de classe. Leur avis est pris en considération, contrairement à notre pays où les uns comme les autres en sont écartés malgré la loi», souligne le président de l'association des parents d'élèves du lycée Rédha Houhou. Pour lui, «le point faible des parents, c'est le fait qu'aucune instance syndicale ne se soit exprimée par le biais de ses représentants pour rappeler au département de l'éducation que la loi de 2008 de Bouteflika a abrogé tous les textes précédents». Du coup, les anomalies observées depuis plusieurs années déjà ont pris davantage d'ampleur. «Les cours particuliers dispensés par les enseignants sont devenus un moyen de pression mesquine sur les parents d'élèves. Le recrutement des élèves commence dès le début de l'année. Le prof se montre sévère dans sa notation pour bien stipuler à l'élève que son niveau laisse à désirer, mais propose aux parents la solution miracle, à savoir donner des cours particuliers à leur enfant et les notes prennent alors une courbe ascendante au fil de l'année. Il y a même des enseignants sans scrupules qui traitent les sujets des devoirs surveillés ou de compositions lors des cours payants. C'est une forme de corruption indirecte», confie, indigné, un juriste à la retraite, ayant vécu cette expérience avec ses enfants. Véritablement faisandée, l'Education nationale mériterait un bonnet d'âne, non pas pour les résultats scolaires obtenus, mais pour la manière – chèrement payée – avec laquelle les apprenants accèdent à un nouveau palier ou une classe supérieure. La réforme du système éducatif ne devrait-elle pas avant tout englober une «rééducation» de l'enseignant ?