Ma grand-mère paternelle, originaire du sud du pays, me parlait de la vie simple et ouverte que menaient en leur temps les femmes, aux côtés des hommes, leurs frères, travaillant aux champs, contribuant dans tous les domaines, travail, célébrations, prises de décision… Sans se préoccuper de cette phobie de la mixité que nous avons inventée il y a une trentaine d'années.» Ce passage est tiré d'un texte du blogueur saoudien Raif Badawi, condamné pour blasphème, publié en 2011. Il est regroupé avec d'autres écrits dans un recueil intitulé 1000 coups de fouet, parce que j'ai osé parler librement. Ce passage démontre l'absurdité des accusations et de la sentence confirmée récemment par la Cour suprême d'Arabie Saoudite : 1000 coups de fouet qu'il doit recevoir à raison de 50 coups chaque vendredi et dont l'exécution est suspendue pour raison de santé, 10 ans en prison, une amende d'un million de rials — 260 000 dollars — et une interdiction de quitter le pays pendant 10 ans, après sa sortie de prison. Une édition du recueil vient d'être publiée au Québec. A cette occasion, la femme de Raif Badawi, Ensaf Haidar, diplômée en récitation du Coran et études islamiques, a répondu aux questions d'El Watan dans un entretien express. La femme de 35 ans, au caractère fort, est loin du stéréotype de la femme saoudienne soumise. Elle a déjà fait face à sa propre famille, avec qui elle a rompu tout contact du temps où elle vivait en Arabie Saoudite. Réfugiée avec ses trois enfants au Canada depuis 2013, dans la région de Sherbrooke au Québec, elle se bat depuis avec Amnesty International pour libérer son mari, et ce, à travers une campagne mondiale, Free Raif.
Maintenant que la Cour suprême d'Arabie Saoudite a confirmé le verdict de Raif, que reste-il à faire ? Il ne nous reste qu'à espérer que le roi Salmane gracie Raif pour lui permettre de quitter l'Arabie Saoudite. Et j'espère que toutes les organisations et tous les gouvernements qui nous soutiennent maintiendront leur mobilisation jusqu'à ce qu'il soit libéré. Un certificat d'immigration au Québec vient d'être établi pour Raif pour des raisons humanitaires. Pensez-vous que cela puisse aider sa cause ? Je remercie le gouvernement du Québec qui est à nos côtés depuis le début et a pris fait et cause pour Raif. C'est très important. J'espère que cela va pousser le gouvernement saoudien à le laisser venir nous rejoindre, les enfants et moi, au Québec. Quel écrit a déclenché la poursuite contre Raif Badawi ? Sincèrement, il n'y a pas d'article en particulier qui ait allumé la mèche. Tous les articles ont été publiés dans des journaux saoudiens (Al Watan, Al Jazira…) ou sur des sites internet. Et je vous assure, et je l'ai toujours dit, que ce qu'a écrit Raif a toujours été respectueux. Il n'y a eu de sa part ni provocation ni polémique ou dépassement de lignes rouges. Avez-vous eu de l'aide dans le monde arabe ? Oui, bien que dans le monde arabe beaucoup de gens hésitent à revendiquer leur liberté. Il y a eu des actions de mobilisation au Maroc, en Tunisie. Il y a des Algériens avec nous ici. Beaucoup d'autres sont convaincus de la justesse du combat de Raif aussi mais, vous le comprendrez bien, chacun a ses contraintes. Pourquoi avez-vous choisi le Canada ? J'ai déposé mon dossier pour refuge auprès du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés à Beyrouth. La première ambassade qui m'a acceptée est celle du Canada. Nous étions au Liban depuis 2011 et c'est Raif qui m'a demandé de quitter l'Arabie Saoudite avec les enfants. Etes-vous, avec vos enfants, en contact avec Raif ? C'est moi qui suis en contact avec lui. Nous nous parlons au moins une fois par semaine. Quoi que nous ne nous soyons pas parlé depuis une dizaine de jours. Pour les enfants, ils s'intègrent bien, ils vont à l'école et mènent une vie normale, mais leur père leur manque.