- Dans son dernier message, le président de la République a cité l'opposition en des termes élogieux. Le MSP a répondu, quant à lui, favorablement à l'appel du dialogue lancé par Bouteflika. Ce changement de ton augure-t-il d'un changement de cap ? Il faut se poser la question s'il s'agit réellement d'un message émanant du Président ou de son entourage, qu'on appelle les décideurs. Ces derniers, faut-il le rappeler, ont de tout temps engagé des tentatives de polarisation de l'opposition. Par ailleurs, cette même opposition a montré sa disponibilité au dialogue. De plus, si on analyse bien, on constate que les déclarations du président du MSP, Abderrazak Makri, ne sont pas nouvelles. Il a déjà exprimé à maintes reprises son intention de dialoguer avec le pouvoir. A mon humble avis, il n'y a pas de changement de position du MSP mais une continuité dans la voie politique tracée par ce parti depuis 1992. - Comment expliquer son engagement dans le groupe de la CNLTD ? C'était une position conjoncturelle de rassemblement du pôle de l'opposition dont le MSP a été le pilier. Il fallait rassembler les différents courants de l'opposition et constituer une force de proposition pour engager le dialogue. Maintenant, il y a lieu de constater que le MSP est allé au dialogue en tant que parti, toutefois et de par l'image on ne peut omettre que c'est un pilier central au sein de la CNTLD qui est allé voir Ahmed Ouyahia. - Le MSP retrouve, pour ainsi dire, sa vraie nature et sa place au sein du pouvoir ? Le MSP revient à ce qui a toujours été sa stratégie, ce parti a pour doctrine de ne jamais couper le cordon ombilical avec le pouvoir. C'est une question de fidélité à une stratégie qui est adoptée et consignée dans les documents constitutifs de ce parti. Ce pas de dialogue n'est pas une sortie de la ligne directrice du MSP, mais une réactivation d'une stratégie et une redynamisation de l'action politique du MSP. - Que peut devenir la CNLTD dans ce cas ? Je crois que la CNLTD ne peut désavouer cette action du MSP car elle n'a pas d'autres choix. Elle a conçu son action autour d'une alliance de l'opposition, elle ne peut revenir en arrière, il y va de son existence en tant que pôle. Renoncer à l'idée de la CNTLD n'est pas à écarter mais c'est un choix difficile à faire. Pour le moment, la CNLTD est sous le parapluie médiatique du MSP, va-t-elle y renoncer ? Se mettra-t-elle sous le parapluie du parti de l'Avant garde pour les libertés de Ali Benflis ou celui d'un autre parti ? Autant de questions posées qui détermineront l'orientation que prendra l'opposition. On doit déjà souligner qu'il y a aussi un changement de ton dans le discours de Ali Benflis. En parlant de la situation à Ghardaïa, Benflis renonce à l'idée de «vacance» du poste présidentiel et préfère parler d'«incapacité» du pouvoir à gérer. - Qu'est-ce qui explique ce changement ? La gravité des événements de Ghardaïa. Je dois dire à ce sujet que la situation est telle qu'il y a un risque qu'elle se propage vers d'autres régions où les mêmes ingrédients de tension existent. La lutte des clans en Algérie s'est toujours basée sur une essence tribale. Dans ce qui se passe à Ghardaïa on a légitimé la violence en lui greffant le caractère ethnico-religieux. C'est pour la première fois dans l'histoire de l'Algérie qu'on parle de conflit basé sur la différence d'ethnies et c'est là le plus grand danger. Lorsque l'on qualifie les Ibadites de Khawaridj ou d'égarés de la voie religieuse on reproduit les terribles discours des années 90. Placer le courant religieux en tête du conflit c'est tout simplement du terrorisme. L'opposition et tous les Algériens doivent faire preuve de vigilance face à cette orientation dangereuse du conflit. Nous savons tous que les véritables raisons sont ailleurs. - Quelles sont-elles ? Nous n'avons jamais élu la culture de l'Etat et de la loi au-dessus des considérations tribales ou autres. Les conflits autour de la propriété foncière demeurent otages de la seule logique tribale et de arouchia. Je ne crois pas trop à la théorie de la main de l'étranger, j'estime que nous portons en interne les ingrédients du mal. Nous assistons aujourd'hui à un épisode très malheureux d'une série de conflits qui ont commencé dans la région dans les années 1980. J'espère que nous n'aurons plus à vivre un autre épisode sanglant, et ça ne sera possible qu'en imposant la souveraineté de la loi sur la logique du tribalisme. - Revenons à l'épisode de dialogue politique engagé par le MSP avec le pouvoir. Peut-on lier cette action avec l'appel d'Ouyahia à la réactivation de l'alliance présidentielle ? Peut-on dire que le MSP est nostalgique du giron de cette alliance ? Peut-être bien, mais le président du MSP a affirmé que l'initiative de dialogue n'est pas venue d'Ouyahia, qu'elle émane de la seule volonté du MSP et qu'elle a été programmée avant le discours du Président. J'estime, encore une fois, que l'action du MSP n'est pas née du hasard mais obéit à une logique de continuum d'une stratégie et de vision sur la relation pouvoir-opposition. Il reste maintenant à savoir si le dialogue engagé s'accorde avec la vision de l'opposition de trouver des solutions à la crise, ou bien s'accorde-t-il avec la stratégie du pouvoir de polariser cette même opposition.