Chanteur engagé, Nouamane Lahlou, 50 ans, défend depuis une dizaine d'années la cause des enfants de la rue, des harraga et des malades du cancer au Maroc. Il est souvent sollicité pour des conférences sur la musique marocaine et anime plusieurs ateliers et séminaires sociaux. Cet artiste complet, doté d'un sens artistique remarquable, se confie à El Watan. - En ouverture du Festival du raï d'Oujda, vous avez interprété Adam Inssan, chanson tirée de votre dernier album. Vous dénoncez en des termes clairs et harmonieux l'extrémisme religieux… L'art est le reflet de la société. Adam Al Inssan est un cri du cœur, un appel à la tolérance et à la modération face à la réalité d'une société tourmentée, meurtrie. La réalité que nous vivons, aujourd'hui, est une réalité malheureuse, amère, due à des gens qui parlent et agissent au nom de Dieu, qui s'érigent en gardiens du dogme musulman et s'arrogent le droit de vie et de mort sur des populations désemparées. Du Maroc jusqu'à l'Extrême-Orient, le Monde arabe est en crise. Certains pays, livrés à la folie destructrice des extrémistes religieux, ne sont que ruines et désolation. Pour moi, le fait de ne pas aborder ce thème et dénoncer l'extrémisme religieux équivaut à trahir l'art et l'humanité toute entière. Je crois que le propre d'un artiste est de toujours s'exprimer sur des questions contemporaines. Il y a quelques années, j'avais chanté pour dénoncer la condition des enfants de la rue et des malades du cancer au Maroc, des felouques de la mort… - Le texte est tranchant, sans détour… Comme l'est la réalité du monde arabo-musulman… C'est un ami qui me l'a écrit. Il s'appelle Driss Bougaa, un poète de Fès. Le jour où il m'a remis le texte et proposé cette chanson, il ne me l'a pas présentée pour la chanter. Pour lui, je n'allais pas la prendre en considération pour la chanter. J'ai mis deux ans à composer la musique et j'avais tout convenu avec mon ami Lotfi Bouchnek pour qu'on l'interprète ensemble. Au dernier moment, il a changé d'avis. Je crois qu'il a eu peur de la réaction des milieux extrémistes. Il me l'a dit franchement : «Je n'ai pas envie qu'une chanson me conduise à la potence.» Alors, je lui ai répondu : «Si c'est comme ça, je préfère être pendu tout seul.» Ceci dit, Bouchenak demeure pour moi un très grand artiste et je comprends ses craintes. - Vous avez vécu huit ans aux Etats-Unis où vous avez entamé une carrière de chanteur. Un beau jour, vous avez décidé de quitter l'Amérique et de tout laisser tomber… C'est juste. En 1987, j'ai rencontré le grand compositeur Mohamed Abdelwahab à Los Angeles par pur hasard. Cela a changé le cours de ma vie. Je m'en souviens encore. Abdelwahab m'avait dit : «C'est très bien ce que tu fais ici (aux Etats-Unis, ndlr), mais tu perds ton temps. Si tu veux réussir sur le plan artistique, va au Caire !» J'ai hésité un moment, car je n'étais pas vraiment sûr de réussir aux côtés des grands ténors de la chanson arabe. J'ai fini par suivre le conseil de Abdelwahab et ce fut le début d'une grande carrière. De retour au Maroc en 1992, ce fut le grand succès dès le début. J'ai chanté en duo Amen Alik ya Markeb avec Latifa Raafet, puis j'ai enchaîné avec Naïma Samir et Wadi El Safi pour qui j'ai composé son dernier opus avant qu'il ne décède. - Vous n'êtes pas un chanteur de raï, pourtant vous avez fait l'ouverture du Festival d'Oujda... Toutes les opportunités qui permettent un contact avec le public sont bonnes à prendre. Moi-même j'étais étonné qu'on me propose d'animer la soirée d'ouverture du Festival du raï. L'idée m'a plu cependant. Il ne faudrait pas que ce festival soit attaché uniquement au raï, il doit se frayer des ouvertures, explorer de nouveaux horizons. - Vous êtes-vous déjà produit aux côtés de chanteurs raï ? J'ai écrit et composé une chanson avec cheb Lamine en 2013. Mazal Chahdine est sortie à l'occasion du 50e anniversaire de l'indépendance de l'Algérie en hommage au combat libérateur du peuple algérien. Ce n'est pas une chanson raï, mais elle comprend des gammes et des rythmes propres à ce genre musical. C'était pour moi une belle expérience que de réaliser cette œuvre en duo avec Lamine. Par la suite, j'ai discuté avec Khaled sur l'éventualité de charpenter ensemble un projet musical. L'idée est en train de germer… Le raï est une expression musicale maghrébine contemporaine. Il est actif, festif, mais je trouve que qu'il y a beaucoup de pauvreté sur le plan du texte. Il n'y a pas une profondeur dans texte. Le raï est une musique qui plaît beaucoup. Je pense qu'il faut, à ce titre, repenser et parfaire le texte. - Votre prochain chantier artistique ? Des textes d'Ibn Arabi et d'Al Hallaj revisités sur des airs contemporains. Très jeunes, très modernes. Je travaille sur un autre album, Andalousie d'aujourd'hui, dont la sortie est prévue en décembre prochain, des mix entre instruments traditionnels et modernes d'une durée 3 à 4 minutes.