Pour sécuriser ses approvisionnements énergétiques, la Chine a conclu, le 21 mai 2014, un énorme contrat de fourniture en gaz avec la Russie s'étalant sur 30 ans. Montant de la transaction : 400 milliards de dollars. Le volume livré par Moscou doit gonfler progressivement pour atteindre, dès 2018, quelque 38 milliards de mètres cubes par an. Rien que ça. Malgré la conclusion de ce méga-contrat qui le met durablement à l'abri des aléas du marché des hydrocarbures, il faudra bien plus de pétrole et de gaz à l'Empire du Milieu pour satisfaire la boulimie énergétique qui caractérise son économie. Passée au rang de premier consommateur mondial d'énergie depuis déjà 2011, la Chine semble s'être rendue à l'évidence que la prospérité de son économie passait nécessairement par un rapprochement durable avec le monde musulman et particulièrement avec les grands pays producteurs d'hydrocarbures, tels l'Arabie Saoudite, l'Iran ou l'Algérie. C'est justement ce à quoi elle s'attelle à entreprendre depuis deux ans. D'une pierre deux coups, ce rapprochement est pensé aussi de telle sorte à ce qu'il permette aux entreprises chinoises de conquérir de nouveaux marchés. La Chine a besoin, en effet, de redynamiser son économie et de trouver une parade à la crise qui paralyse actuellement l'économie mondiale. Le fait que le PIB du pays n'a augmenté en 2014 que de 7,4% (il s'agit de la croissance la moins élevée depuis les années 1990) montre que l'économie chinoise a commencé à s'essouffler. Le jeu en vaut visiblement la chandelle, puisque les échanges sino-arabes s'avèrent rentables. Le volume commercial entre la Chine et les pays arabes est passé de 65 milliards de dollars à 145 de 2010 à 2014, soit une progression de 30% par an. Afin donc de prendre pied dans la région traditionnellement davantage tournée vers l'Ouest, le gouvernement chinois organise depuis 2010 le Forum économique et commercial Chine-pays arabes. Par cet événement, les dirigeants du Parti communiste chinois veulent convaincre les leaders du monde arabo-musulman qu'il est possible de faire de l'Orient le nouveau centre de gravité de l'économie mondiale et que tout le monde aurait à gagner à travailler ensemble. Pékin ne doute pas de la viabilité d'un tel partenariat, surtout que dans un lointain passé, la Chine et le monde musulman, à travers la route de la soie, ont pendant des siècles constitué la plaque tournante du commerce international. Valeurs communes Les autorités chinoises misent également sur le fait que la Chine et le monde arabo-musulman disposent de valeurs culturelles communes, comme l'islam. Des valeurs susceptibles de constituer l'un des principaux ciments de ce partenariat. A ce propos, les autorités chinoises ne ratent aucune occasion pour mettre en avant ce vieil héritage commun. Dans certains cas, il est même utilisé comme un argument commercial. Ce n'est pas un hasard si c'est d'ailleurs la ville de Yinchuan, capitale la région autonome Hui du Ningxia, située à l'ouest de la cpitale, qui a été choisie par Pékin pour accueillir, à l'automne de chaque année, ce Forum économique et commercial Chine-pays arabes. Yinchuan tout entière est dédiée à la coopération sino-arabe. La composante humaine de la région, les Huis, est musulmane. Mieux, la région autonome est située sur le tracé de… l'ancienne route de la soie. Le projet de la Chine ne serait-il pas justement de redonner vie à cette route mythique ? «C'est effectivement cela», répond sans hésiter Shi Daduo, directrice de la division Asie de l'Ouest et Afrique du Nord au ministère chinois des Affaires étrangères. En réalité, le projet n'est pas si nouveau que cela. Il est dans les tuyaux depuis plusieurs années. Mais ce n'est effectivement qu'en septembre 2013 que le président chinois Xi Jinping l'a officiellement lancé. Depuis, le comité central du Parti communiste en a fait l'une de ses principales priorités. Plus généralement, cette nouvelle route de la soie vise à intensifier les liens entre la Chine, l'Asie, l'Afrique et Europe en développant les infrastructures. Mais on l'aura compris, la réalisation de ce projet passe, avant tout, par la mise en place d'un solide partenariat avec le monde musulman. Comme le nerf de la guerre reste évidemment l'argent, le Premier ministre chinois, Li Kegiang, a fait comprendre à tous les «amis» de la Chine que la question des financements n'était pas un souci pour son pays. Il a annoncé, en mars dernier, la création de la «Silk Road Company Ltd», le fonds d'investissement privé qui portera le projet. Selon les autorités chinoises, ce fonds est doté aujourd'hui de 100 milliards de dollars. A quoi ressemblera exactement la route de la soie version Xi Jinping ? Celle-ci, avancent certains spécialistes de la Chine, «combinera à la fois la route terrestre menant de Chine à travers l'Asie centrale jusqu'à la Turquie et l'Europe, ainsi que la route maritime passant par l'océan Indien et l'Afrique». Dans les deux cas, précise-t-on, «il s'agit de développer les infrastructures de transport et d'accélérer le développement des échanges des biens et des personnes». Mais cette initiative ne répond, semble-t-il, pas uniquement qu'à des calculs économiques. Des calculs stratégiques, il y en a beaucoup aussi. Selon d'autres spécialistes, l'Empire du Milieu veut aussi à travers la nouvelle route de la soie établir un cordon de stabilité régionale. Calculs stratégiques Le leadership chinois, soutiennent-ils, «croit fermement que la prospérité économique et les investissements en infrastructures sont le meilleur moyen pour maintenir la paix chez ses fragiles voisins et de contrer le terrorisme au Moyen-Orient et en Afrique du Nord». Faut-il aussi appréhender ce projet de route de la soie comme un instrument au service de l'expansionnisme chinois ? La Chine aspire-t-elle à devenir le gendarme de la région ? Shi Daduo assure que non. «Nous n'avons aucune intention d'imposer nos idées au monde. Nous nous considérons comme un pays en voie de développement. De plus, nous sommes persuadés que le monde n'a pas besoin d'un gendarme pour gérer les dossiers chauds. Notre objectif, à travers notre projet de route de la soie, est de tisser des liens humains et commerciaux étroits avec nos voisins de l'Ouest. C'est dans l'ordre des choses. Nous n'avons pas de velléité hégémonique», assure-t-elle. Même son de cloche chez les dirigeants de la région autonome Hui du Ningxia qui accueille la Foire économique et commerciale Chine-pays arabes. S'ils admettent, sans faux-fuyant, que le projet de route de la soie permettra effectivement à la Chine de sécuriser ses approvisionnements en pétrole et en gaz et, pourquoi pas, d'écouler ses produits manufacturés (le Ningxia est en passe de devenir la capitale de la production de produits estampillés halal), ils s'empressent de souligner que le gouvernement chinois est prêt à donner aux pays arabo-musulmans une contrepartie. Libéralisme à la chinoise Et cette contrepartie serait le transfert de technologie. Un transfert auquel Pékin ne pose pratiquement pas de limites. «Ce que nous proposons aux pays arabes est un partenariat gagnant-gagnant. En contrepartie de l'énergie, nous sommes disposés à collaborer avec eux dans tous les domaines. Le projet de route de la soie auquel nous aspirons se fonde sur le principe d'égalité et de partage», soutient Hao Liuhu, responsable de la planification au sein du gouvernement de la région autonome du Ningxia. Pour mettre l'accent sur le caractère équitable du concept de cette nouvelle route de la soie, Zhang Liwei, responsable quant à lui de l'organisation de la Foire économique et commerciale Chine-pays arabes, préfère utiliser une image : «Le principe de la route de la soie est simple. Nous préparons ensemble le repas et nous le partageons. Nous y gagnons tous.» En Afrique, la Chine compte surtout renforcer ses échanges avec l'Egypte, le Soudan et l'Algérie. Quoi qu'il en soit, Alger soutient ce projet de route de la soie. Les entreprises chinoises sont déjà très présentes en Algérie où elles ont décroché, ces dernières années, des marchés d'un montant global qui avoisinerait les 20 milliards de dollars. Quid des investissements ? Les Chinois, disent-ils, souhaiteraient aussi s'impliquer davantage. Cependant, regrette Shi Daduo, «l'investissement n'est pas une chose aisée en Algérie». Elle évoque l'existence d'obstacles et de freins et affirme ne pas comprendre un tel protectionnisme alors qu'«en Chine, les lois sont plus favorables aux étrangers qu'aux Chinois». Venant d'une responsable, dont le gouvernement se réclame encore du communisme, le reproche a du mal à passer inaperçu. Mais il est vrai aussi que la Chine d'aujourd'hui n'a de communiste que le nom et… le système qui régente sa vie politique. Un modèle que Pékin veut aussi exporter à travers sa nouvelle route de la soie.