Près de quatre ans après la chute du régime El Gueddafi, la Libye est en proie à un conflit opposant deux Parlements rivaux : le Congrès général national (CGN) basé à Tripoli, sous la coupe de la coalition des milices Fajr Libya, et un autre siégeant à Tobrouk, reconnu par la communauté internationale. L'ONU tente depuis une année de les persuader de faire la paix. Les Libyens vont-ils enfin commencer à voir le bout du tunnel ? L'émissaire des Nations unies pour la Libye, Bernardino Léon, alimente en tout cas volontiers cet espoir. Dans la nuit du 8 au 9 octobre, il a d'ailleurs annoncé, depuis le Maroc où se tiennent les négociations interlibyennes, la formation d'un gouvernement d'unité nationale pour la Libye. «Après une année d'efforts déployés dans ce processus avec plus de 150 personnalités libyennes représentant toutes les régions, le moment est enfin venu pour que nous puissions proposer la formation d'un gouvernement d'unité nationale», a-t-il déclaré au cours d'une conférence de presse à Skhirat, où des négociations avaient repris lundi dernier entre les nombreux camps rivaux libyens. Le gouvernement libyen d'unité nationale en question sera présidé par Fayez El Sarraj et aura trois vice-Premiers ministres : Ahmad Meitig, Fathi El Mejbri et Moussa El Koni. Selon M. Leon, il reste maintenant aux deux parties principales du dialogue politique libyen, la Chambre des représentants libyenne (Parlement de Tobrouk) et le Congrès général national (CGN, Parlement de Tripoli) de parvenir à un consensus sur la liste du conseil présidentiel d'ici la fin de la semaine en cours. La communauté internationale peut-elle réellement crier victoire ? Beaucoup d'observateurs ne partagent pas l'optimisme de l'émissaire onusien. Certains ont même qualifié l'annonce de «périlleuse» tant les parties rivales continueraient justement à émettre des réserves concernant ce plan de sortie de crise. La correspondante de la chaîne britannique BBC au Maroc rapporte à ce propos que «des parlementaires des deux camps semblent s'accorder pour rejeter la proposition de l'ONU, au motif qu'elle est prématurée». Pourquoi prématurée ? Aucune indication n'a été donnée à ce sujet. L'on sait juste que la composition de ce gouvernement d'union comprend une majorité de personnes originaires de Misrata, la ville qui a été l'épicentre du soulèvement contre le régime de Mouammar El Gueddafi. Et rien que ce point susciterait déjà la méfiance, sinon la désapprobation des autres régions de Libye. Preuve que l'accord obtenu au Maroc est fragile, quelques heures à peine après l'annonce de Bernardino Leon, des appels à manifester contre ce nouveau gouvernement ont proliféré sur les réseaux sociaux. Annonce «prématurée» Ce n'est pas tout. Pour qu'il soit appliqué, l'accord doit être validé par les deux Parlements rivaux. Ce qui est loin d'être gagné. L'autre grande question est de savoir si ce gouvernement d'union, dans l'éventualité où il recevrait le feu vert des Parlements de Tripoli et de Tobrouk, arrivera à peser sur le cours des événements et à imposer un véritable cessez-le-feu. Beaucoup de milices n'obéissent à aucun des deux Parlements. Alors, pourquoi Bernardino Leon s'est-il empressé d'annoncer la conclusion d'un accord alors que dans les faits il n'a pas obtenu au préalable l'aval des principaux belligérants pour le faire ? Des spécialistes du dossier expliquent que «les Nations unies ont fait pression pour la conclusion d'un accord de peur que les négociations ne s'effondrent». La situation de la Libye inquiète aussi car elle profite à la prolifération de l'Etat islamique et au trafic de migrants. Face au risque d'échec, le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, a encore exhorté, hier, les dirigeants libyens «à ne pas gâcher cette opportunité» de remettre le pays sur la voie de la reconstruction d'un Etat. Ajouté à cela, souligne-t-on, «M. Leon va être remplacé dans les semaines qui viennent». Et il aura donc tenté le tout pour le tout pour ne pas partir sur un échec. L'autre problème est que le mandat du Parlement reconnu par les puissances occidentales expire le 20 octobre. Il n'aura dès lors pas plus de légitimité que l'autre. Ce qui risquerait de compliquer davantage les choses. Mais les Libyens n'en sont pas encore là. Effectivement, le temps n'est pas plus de leur côté. S'ils n'en prennent pas conscience très vite, il est possible aussi qu'ils n'aient plus aucune influence sur le devenir de la Libye où les véritables décideurs sont les seigneurs de la guerre.