Ainsi donc, Farouk Ksentini rêve d'un «Etat de droit qui soit un Etat civil». Pour un homme qui a toujours défendu, très habilement il faut le reconnaître, les vertus d'un système d'essence antidémocratique, corrompu et corrupteur, et dans lequel il a évolué à l'aise, faire une telle confession à la radio nationale à une heure de grande écoute a de quoi amener les esprits à méditer. Surtout qu'il ne s'arrête pas à cette simple confidence en soulignant plus loin que les Algériens ne peuvent plus se contenter d'une démocratie de façade qui n'existe que dans les textes. Un démenti qui démolit tout l'argumentaire fallacieux entretenu jusque-là par les pontes du régime et leurs affidés. En quelques mots, le défenseur des droits de l'homme qui s'est confondu bien malgré lui avec la nature autoritariste du système et toutes les violations faites aux libertés qui ont en dérivé, a tout dit. Ou plutôt tout renié. Il affirme désormais sans aucun détour que l'opposition est une nécessité vitale pour l'exercice de la démocratie, que l'alternance au pouvoir est incontournable avec le départ impératif de l'ancienne génération qui n'a que trop duré, et que la justice doit être totalement indépendante de l'Exécutif si elle veut jouer un rôle prépondérant dans ce pays. Autant de principes fondamentaux qui ne sont pas nouveaux mais qui, exprimés par un représentant de la loi allié du régime, prennent forcément une autre dimension. De tels propos pourraient indiquer, pour les observateurs, que quelque chose est en train de se passer au sommet, et que la donne risque de connaître des bouleversements significatifs avec notamment la prévision d'un mandat présidentiel qui risque de ne pas aller à son terme. On murmure en effet que l'état de santé de Bouteflika demeure toujours un handicap fort contraignant pour assumer pleinement les lourdes charges de l'Etat, et que lui-même aurait pris conscience de cette situation qui ne va pas sans engendrer de grosses conséquences en matière de gouvernance. Au demeurant, le message du Président délivré à l'occasion du 1er Novembre laisse transparaître cette volonté de sa part de remettre les choses à leur place avec une nouvelle constitution qui annonce un changement de cap radical. Comprendre que les intentions d'édifier un Etat démocratique sont bien réelles et surtout mûries et partagées par les hautes instances qui n'ont plus d'autre alternative si elles veulent sauver le pays de la régression qui le menace. Mais entre les mots et les actes, il y a toujours un fossé chez nous qui n'a jamais pu être comblé. Du coup, même si les idées du Président paraissaient s'inscrire dans l'air du temps, elles n'ont pas manqué de susciter, chez l'opposition, des réactions plutôt mitigées dont la plupart marquées par le doute et la suspicion en raison du jeu trouble qui a toujours caractérisé les gouvernants et qui donc s'apparenterait comme d'habitude à de la fumisterie. Pourquoi croire en effet aujourd'hui le Pouvoir quand durant les quinze années de règne de Bouteflika il a fait exactement le contraire de ce qu'il a promis d'entreprendre ? Quelle est, dans cet ordre de raisonnement, la part de vérité qu'il faut accorder à l'intervention de Farouk Ksentini qui revendique un Etat civil - par opposition à un régime militaire que personne n'osait identifier sous cette étiquette par trop compromettante - au moment où d'autres voix appartenant au sérail fixaient les limites à ne pas dépasser dès que les questions du changement sociétal sont évoquées, dont celle d'Ahmed Ouyahia assurément la plus virulente et la plus acharnée contre toute forme de contestation qui appelle à tout revoir dans le gestion des affaires du pays mais qui, pour son grand dam…. s'inscrit dans la même trajectoire de la perspective tracée par le message du locataire d'El Mouradia. Comme quoi, l'opposition si elle n'a pas totalement inspiré le premier magistrat, a des propositions fiables à faire valoir pour les libertés et la démocratie qui commencent à trouver un écho favorable, ce qui ne devrait pas faire beaucoup plaisir au chef du RND qui visiblement panique à l'idée de voir son ascension vers la plus haute cime du pouvoir s'arrêter net avec les secousses que subit actuellement l'échiquier politique. En fait, Ouyahia a peur de laisser des plumes dans une bataille qui ne tourne plus à son avantage. Son pire adversaire politique, en l'occurrence Amar Saadani qui a été, ne l'oublions pas, parmi les premiers à parler d'un Etat civil de substitution à celui dans lequel nous vivons actuellement et qui selon lui est fortement marqué par la prédominance de l'uniforme, ne croit pas lui aussi au changement en dehors de sa propre «cuisine» où il se voit déjà propulsé dans les loges d'honneur à la faveur des frémissements qui parviennent de la Présidence et qui indiqueraient que la course au trône sera bientôt déclarée ouverte. L'homme a cependant commis un grave impair qui risque de lui coûter cher. En déclarant que le FLN aura son propre candidat (c'est-à-dire lui) pour la prochaine élection présidentielle qui a, d'après l'avis des spécialistes, de fortes chances d'être anticipée, il aura à son actif un déni de fidélité à un Président en exercice qui l'a fabriqué de toute pièce. Saadani a toujours dit qu'il fallait attendre 2019 pour prétendre à la succession, et le voilà donc impatient d'afficher ses ambitions alors que la Présidence reste stoïque. Comment réagira-t-on à El Mouradia ? Pour l'heure, l'action est de rassurer les Algériens sur la substance de la Constitution. Comme gage palpable, on révise - même stratégiquement - la considération prêtée à l'opposition et on annonce dans la foulée un autre remaniement du gouvernement qui exclura les ministres qui auront accumulé une forte dose d'impopularité en raison de leur incompétence avérée. C'est l'effet domino qui commence…