Le passage en force du Front national au premier tour des régionales de dimanche dernier annonce une nouvelle donne sur l'échiquier politique français. Les électeurs français — en fait la moitié des inscrits sur les listes électorales qui s'était déplacée — ont mis le parti d'extrême droite Front national en tête de leurs suffrages, devant la droite classique et les socialistes, lui permettant, dimanche prochain, de transformer l'essai et d'emporter plusieurs régions. Par ce vote, les Français ont réveillé les vieux démons des arrangements politiciens à courte vue, le train habituel des manigances électorales et de l'espoir que cela ne soit qu'un coup de semonce. Il s'avère que la défaite consommée de la gauche socialiste, au soir des élections régionales (23% au niveau national), passait presque au second plan devant ce qui était analysé aussi comme une gifle monumentale pour la droite (28%) et surtout pour Nicolas Sarkozy. L'ancien président de la République avait cru, pendant son mandat suprême entre 2008 et 2012, pouvoir contrecarrer la progressive imprégnation du discours de l'extrême droite dans l'idéologie populaire française — on se souvient de son ministère de l'Identité nationale et de ses discours racistes au Sénégal et à Grenoble notamment. Il s'agissait, en reprenant les thèses xénophobes et sécuritaires, de maintenir le FN à un niveau bas pour l'empêcher d'accéder au pouvoir. Lorsque les voyants passaient au rouge, les politiques mettaient un peu de détergent pour verdir le paysage, sans effet. Le résultat de ce subterfuge est à présent irréparable : quelques députés FN élus en 2012 ; une poignée de communes décrochées en 2014 (dont un important arrondissement de Marseille) ; quelques conseillers départementaux intronisés en juin 2015 et, depuis dimanche, 30% des votants qui déposent dans l'urne le bulletin du FN, ce qui signifie 6 millions d'électeurs gagnés par la progressive fièvre noire que rien ne semble ralentir. L'arme désespérée du désistement Toute la politique menée depuis 35 ans par la gauche, depuis François Mitterrand en 1981, puis par la droite, pour endiguer ce mouvement politique antirépublicain qui ne cachait pas ses visées haineuses s'est avérée vaine puisque dimanche, le Front national était largement en tête dans six régions métropolitaines sur 13 et avait de fortes chances de l'emporter dans plusieurs, avec un quasi certitude dans trois d'entre elles : Nord-Pas de Calais-Picardie (Lille) ; Alsace-Lorraine (Strasbourg) et Provence-Alpes-Côte d'Azur (Marseille). La gauche est en tête dans seulement trois régions : la Corse, la Bretagne (où la tête de liste socialiste est l'actuel ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian) et l'Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes. La droite classique est en pole position dans quatre régions : Ile-de-France (Paris), Normandie, Auvergne-Rhône Alpes et Pays de la Loire, alors qu'avant le scrutin, Nicolas Sarkozy pensait en gagner au moins six. Aussitôt, la sacro-sainte arme de destruction massive contre le FN a été émise : désistement pour le candidat dit «républicain» le mieux placé, même si on sait que cela ne marchera pas. En Provence-Alpes-Côte d'Azur et dans le Nord-Pas-de-Calais-Picardie, c'est ce qui a été fait, peut-être en vain, on le saura dimanche prochain. Le Parti socialiste a retiré ses listes sans discussion au profit du parti de droite Les Républicains, mieux placé pour battre la présidente du FN Marine Le Pen à Lille (41% des voix au premier tour) et sa nièce Marion Le Pen à Marseille (42%). Ce qu'a raillé la chef de file du FN : « Le PS, comme la secte du temple solaire, a décidé d'un véritable suicide collectif par l'intermédiaire du retrait de ses listes forcé.» Seul contre son parti dans le Grand-Est (Alsace-Champagne-Ardennes-Lorraine), le candidat socialiste Masseret a refusé de se désister, estimant que «cette stratégie de l'évitement du front républicain n'est pas une stratégie qui réussit. Elle existe depuis des années, mais à chaque fois, le FN a continué de monter. Plutôt que de se retirer, il faut se confronter». Dans cette région, ce sera donc le vice-président du FN, Florian Philippot, qui a de fortes chances dimanche prochain. A droite, hier, au parti Les Républicains, le président Nicolas Sarkozy a fait entériner par le conseil politique le refus de retirer les candidats de son mouvement au profit des socialistes dans les régions où cela empêcherait le Front national de gagner la triangulaire. Cet aplomb, habituel chez Sarkozy, a soulevé beaucoup de critiques au sein de son parti dans un climat où déjà, outre le résultat calamiteux à prévoir au soir du second tour, dimanche prochain, se profilent les prochaines échéances dont la reine des batailles : la présidentielle de 2017 pour laquelle Marine Le Pen a pris un tour électoral d'avance, n'en déplaise aux optimistes qui pensent avoir dégommé à la fois Hollande et Sarkozy. Dimanche prochain, après le second tour fatal pour la République française, il sera temps de panser les blessures et pour les analystes de comprendre comment le parti antipopulaire par essence, malgré son populisme, va mettre à mal l'équilibre social qu'il prétend rétablir et désespérer un peu plus encore le pays.