Pouvez-vous nous dresser un état des lieux sur le mouvement antigaz de schiste d'In Salah ? Les quelques jeunes qui sont encore présents sur la place Somoud constituent le noyau qui attend désespérément une réponse au moratoire, ou l'arrêt des forages. Ils ne veulent pas évacuer les lieux et ils sont là toute la journée et toute la nuit, après avoir passé l'été entier sur place. Les citoyens d'In Salah se tournent vers le maraîchage, l'agriculture et la phoeniciculture, ceci constitue leur réponse au mépris du gouvernement concernant la demande pour un moratoire. Par ailleurs, le nouveau statut de wilaya déléguée leur donne l'espoir que leur ville va être développée, car face à l'opacité et à l'absence totale d'informations concernant les forages (il y en a de nouveaux) que peut-être la réaction ? Un nouveau Somoud ? Non. L'organisation de la lutte anti-gaz de schiste a évolué en un collectif organisé autour du retour au palmier dattier et à tous ses dérivés, au maraîchage et à la vulgarisation de diverses techniques agricoles pour le développement d'une agriculture d'autoconsommation en milieu saharien. Une nouvelle forme de résistance est en marche. Quelles sont les dernières développements du côté de l'exploration ? Si le gouvernement abandonne les GDS, c'est parce qu'ils sont devenus trop chers, mais les essais continueront j'en suis certaine et nous continuerons à leur servir de cobayes. D'ailleurs, nous constatons ponctuellement des décès d'animaux, surtout les volatiles et les camelins. Dans la mesure où jamais un prélèvement n'a été fait et qu'aucun vétérinaire n'a fait d'autopsie, nous ne savons toujours pas à quoi sont dus ces décès. Toutefois, avant l'exploration et l'exploitation des GDS, jamais aucun phénomène de ce genre n'avait été constaté. Les perspectives concernant le mouvement anti-GDS sont que ce mouvement se tourne de manière radicale et définitive vers l'adoption, la création, la mise en place d'un concept de développement durable et vulgarisation pour utilisation des énergies renouvelables à In Salah. Ce concept dont le nom est Smart Sahara (que nous avons tenu à protéger légalement) nous vient de Nidam Abdi, journaliste et contributeur au journal Les échos. Quelles sont à votre avis les perspectives du mouvement antigaz de schiste en Algérie au vu de la baisse des prix du pétrole d'une part et le silence des autorités de l'autre? Bien que la contestation ne soit plus exclusivement localisée sur le Somoud, elle a néanmoins formé une conscience forte et indestructible concernant l'environnement. Le citoyen et la citoyenne d'In Salah ont désormais compris que protéger son environnement c'est protéger sa vie et celle des générations à venir, c'est pourquoi le monde entier a pu constater à quel point les femmes étaient impliquées et responsables, et aussi qu'elles ont été les dernières à quitter la place Somoud après le Ramadhan, non pas pour rentrer chez elles et retourner à leur vie au quotidien, mais bien pour réfléchir à un après-Soumoud. Car il existait une ville avant le gaz de schiste et il existe une ville après le gaz de schiste désormais, et elle n'est plus du tout la même. In Salah est une ville qui réfléchit, elle ne subit plus, et sa jeunesse a pris son destin en main. Les entreprises liées au secteur des hydrocarbures sont légion, mais les projets proposés par la jeunesse n'ont aucun rapport avec ce détestable secteur de l'économie algérienne, qui pour nous autres citoyens de In Salah est une véritable malédiction. Une ville verte, écologique, tournée vers les énergies renouvelables et le développement durable : voilà le défi d'In Salah et nous le relevons sans crainte, car nous recevons des soutiens en matière d'expertise, de formation, de matériel. Mais le plus important est que In Salah a refusé et refuse toujours cette destruction de l'eau et de l'environnement qui sont les corollaires obligatoires de l'exploitation des GDS. Par ailleurs, le pays entier se rend compte désormais que la dépendance aux hydrocarbures, et à la rente pétrolière nous a conduits à la faillite. Tout ces vecteurs sont très importants, mais le vecteur essentiel est l'éveil des consciences. Jamais nous n'accepterons de sacrifier notre eau et notre environnement et pour cela nous sommes une seule et unique personne à In Salah. Quelles sont les perspectives de votre mouvement en l'état actuel des choses ? Nous avons dit non aux GDS et nous continuerons à exprimer notre refus et à lutter quel que soit le prix à payer. Notre ville a désormais le statut de wilaya déléguée (nous ne savons pas pourquoi pas wilaya tout court), nous retroussons nos manches et nous nous mettons au travail pour combler l'immense déficit d'In Salah par rapport à n'importe quelle autre ville d'Algérie, en infrastructures et en personnel dans tous les domaines : santé d'abord, formation, agriculture, commerce, In Salah ayant le privilège d'être située en plein centre des grandes villes du Sud. Nous attendons évidemment de notre wali qu'il soutienne nos projets et contribue à leur réalisation et réussite, en nous aidant à créer une autosuffisance en matière de produits agricoles, et pour la promotion de la datte locale dont aucune variété ne possède de label. Nous aimerions aussi mettre en place un réseau d'échanges, de relations au niveau micro-régional, régional et national, afin de mettre un terme à ces relations à sens unique du Nord vers le Sud. Nous savons que les multinationales ne renoncent jamais. Elles l'ont prouvé chez elles, dans leurs pays, elles ont détruit leur environnement, affecté jusqu'au décès les citoyens de leur pays, nous sommes vigilants et attendons de pouvoir montrer au monde entier qu'In Salah n'est pas seulement un sous-sol qui renferme des énergies fossiles, ni une étendue de sable, mais bien une immense superficie agricole capable de se suffire à elle-même et de fournir les villes voisines.